Notre prochaine rencontre aura lieu mardi 12 juin à 20h30 au 6 rue de la Madeleine à Besançon (pour ceux qui souhaitent boire un verre avant, RDV au Passagers du Zinc, rue de Vignier, à partrir de 20h) à l'odre du jour :
- le B,A BA de la décroissance : élaboration d'un argumentaire commun pour la décroissance
- préparation de l'accueil d'une étape d'Alternatives en marche à Déservillers les 10 et 11 juillet( pour infos http://www.alternatives-en-marche.org/ )
mercredi 30 mai 2007
vendredi 18 mai 2007
Pouvoir et espace publics
Exposé de Michel Guet, le 10 avril 2007 (Suite de « Penser la décroissance avec C.Castoriadis »)
Petit rappel pour ceux qui étaient absents lors de ce premier entretien (mardi 6 mars 07) : à travers l'œuvre de CC nous avons pu aborder un certain nombre de concepts qui nous seront fort utiles pour « penser » non seulement la décroissance, mais tout autant nos propres relations au sein de cette « assemblée des hommes » (CC) qu’est La Bisontine de Décroissance (ce qui n’est autre qu’expérimenter à échelle réduite « l’autonomos » castoriadien).
I) Cornélius CASTORIADIS (1922 - 1997)
Son parcours politique - critique de l’économie marchande - les outils de CC.
II) L’INSTITUTION
« Est institution tout ce qui est volontairement organisé par une société donnée » (J. Ellul) — a) l’institution (1) imaginaire (2) sociale (3) — b) hétéronomie/autonomie.
III) COMMENT AGIT ET OPERE L’INSTITUTION
L’institution première de la société est la société elle-même — Par le langage d’abord — Les structures, les catégories — L’institution produit le « sens » (les valeurs) pour tous. — « Institutions imaginaires sociales » = valeurs symboliques (Dieu, patrie, nation — Mode, vitesse, confort) — le « symbolique » (un pain / une hostie) —— L’institution produit La loi (le nomos) et le Pouvoir.
(nous n’avons traité que de la Loi ce mardi 6 mars)
IV) LA LOI
« Toute société institue à la fois son institution et la légitimation de celle-ci » — La première Loi est de dire que la loi est première.
a) L’Hétéronomos : La Loi vient d’ailleurs, elle est inquestionnable. (Les trois ruses de l’institution) — les trois dangers de l’hétéronomie.
b) L’Autonomos : « Se donner à soi-même ses propres lois » « ...sachant qu’on le fait » — Naissance de la philosophie, de la démocratie, de la politique — L’autonomos : projet véritablement révolutionnaire pour Castoriadis.
Reste à traiter : LE(S) POUVOIR(S)
I) POUVOIRS
Nous traiterons de la question du pouvoir en deux grands chapitres : le pouvoir « en général » et le pouvoir « relatif ».
Dans le premier cas il s’agit de voir comment le pouvoir façonne la société dans sa globalité, nous nous attarderons ensuite sur un aspect du pouvoir que n’a pas développé CC : celui de sa matérialité, de ses traces et représentations, (nous emprunterons cette fois à Louis Marin) enfin nous traiterons des lieux sur lesquels tout pouvoir s’incarne, à savoir — selon moi — essentiellement l’espace public, monumental et ostentatoire (ce que je nomme l’Infini Saturé) et que je propose à la discussion.
Dans le deuxième cas « relativement » à cette petite « assemblée des hommes » qui nous formons ici et maintenant, laquelle a décidé de « s’instituer » dans ce cadre qu’est la décroissance, sachant que nous avons appris par l’entretien précédant qu’à chaque fois qu’il y a institution, il y a fatalement « pouvoir ». En effet, nous assembler pour délibérer correctement, pour nous donner à nous-mêmes nos propres lois, implique nécessairement de gérer consciemment une forme relative et interne de pouvoir. Il est de la plus haute importance que nous sachions cela, que nous agissions en pleine connaissance de cause.
II) DU POUVOIR EN GÉNÉRAL
a) Pourquoi y a-t-il du pouvoir ?
Parce que « toute société doit se conserver, se préserver, se défendre. Elle est constamment mise en cause d’abord par le déroulement du monde, l’inframonde tel qu’il est avant sa construction sociale. Elle est menacée par elle-même, par son propre imaginaire qui peut ressurgir et mettre en cause l’institution existante. Elle est aussi menacée par les transgressions individuelles (...). Elle est enfin menacée, jusqu’à nouvel ordre, par les autres sociétés. Aussi et surtout, chaque société est plongée dans une dimension temporelle immaîtrisable, un avenir qui est à faire, relativement auquel il y a non seulement des incertitudes énormes, mais des décisions qui doivent être prises. » CduL IV, p.160
b) Pouvoir intituant / pouvoir institué
CC distingue deux catégories de pouvoirs, un pouvoir instituant (jamais pleinement explicitable) et un pouvoir institué ou explicite.
Cette distinction n’étant pas très pertinente dans le cadre de cet exposé, nous n’insisterons pas ici (et pourrons développer ailleurs). Il suffit de retenir que le pouvoir instituant est le pouvoir déjà-là, celui que l’on trouve dès sa naissance dans la société telle qu’elle fut instituée avant soi.
CdL, III (1990), p.118-119, (c’est nous qui soulignons et commentons entre crochets) :
« Le versant social de ce processus [du pouvoir] est l’ensemble des institutions où baigne constamment l’être humain dès sa naissance, et en tout premier lieu l’autre social, (...) qui prend soin de lui en étant déjà lui-même socialisé d’une manière déterminée, et le langage que cet autre parle ».
[Castoriadis précise ici que cet « autre social » est « généralement mais non inéluctablement la mère »]
« Dans une vue plus abstraite, il s’agit de la ’’part’’ de toutes les institutions qui vise l’écolage, l’élevage, l’éducation des nouveaux venus — ce que les Grecs appelaient paideia : famille, classes d’âge, rites, école, coutumes et lois, etc. La validité effective des institutions est ainsi assurée d’abord et avant tout par le processus même moyennant lequel le petit monstre vagissant devient individu social. Il ne peut le devenir que pour autant qu’il les a intériorisées.
Si nous définissons comme pouvoir la capacité pour une instance quelconque (personnelle ou impersonnelle) d’amener quelqu’un (ou quelques-uns) à faire (ou ne pas faire) ce que laissé à lui-même, il n’aurait pas nécessairement fait (ou aurait peut-être fait), il est immédiat que le plus grand pouvoir concevable est celui de préformer quelqu’un de sorte que de lui-même il fasse ce qu’on voudrait qu’il fasse sans aucun besoin de domination (...) ou de pouvoir explicite pour l’amener à... Il est tout aussi immédiat que cela crée, pour le sujet assujetti à cette formation (...) l’apparence de la ’’spontanéité’’ la plus complète et la réalité de l’hétéronomie la plus totale possible » (...)
Quant au pouvoir institué, c’est celui auquel il faut avoir recours lorsque le premier a échoué : le pouvoir institué est fait pour ceux qui n’ayant pas correctement intériorisé les règles du déjà-là représentent une menace pour la société et le pouvoir instituant. En bref, ceux qui ne sont pas spontanément dociles...
Et CC poursuit (p.118) : « Relativement à ce pouvoir absolu, tout pouvoir explicite et toute domination sont déficients et témoignent d’un échec irrémédiable »
Cumulés, pouvoir instituant et pouvoir institué forment « l’infra-pouvoir ».
« Il reste que l’infra-pouvoir en question, le pouvoir instituant, est à la fois celui de l’imaginaire instituant, [celui] de la société instituée et de toute l’histoire [cumulée-vécue par cette société] qui y trouve son aboutissement passager. C’est donc, en un sens, le pouvoir du champ social-historique lui-même, le pouvoir d’outis, de Personne. » (p.119). « Cet infra pouvoir — manifestation et dimension du pouvoir instituant de l’imaginaire radical — n’est pas localisable. Il n’est certes jamais celui d’un individu ou même d’une instance désignables. Il est ’’exercé’’ par la société instituée, mais derrière celle-ci se tient la société instituante (...) » (p.118)
Castoriadis, pour s’en être tenu aux fondements ontologiques, à la question des origines du pouvoir, à sa théorie psycho-sociale, en un mot à ses principes, n’a pas exploré (ou n’a pas eu le temps d’explorer) ce que l’on pourrait appeler les « modalités pratiques », plus ou moins non-violentes, d’exercice et de propagation du pouvoir explicite, son « exercice », ses moyens, ses méthodes, en un mot sa matérialité (et nous ne saurions le lui reprocher !), or si le pouvoir est outis, est personne en particulier, ses effets, son « exercice » est lui — en revanche — parfaitement localisable, parfaitement nommable. La matérialité du pouvoir, en effet, passe sans y être totalement circonscrite, par ce qu’il est convenu de nommer les « représentations », cette matérialité conduit aussi à la problématique du « lieu » de la représentation, son théâtre, car tout cela ne tient pas tout seul en l’air, mais a bien lieu quelque part.
Avant d’aborder la représentation, et pour donner une image frappante nous pourrions dire que le pouvoir instituant est le bain dans lequel nous sommes immergés dès l’enfance ; ce bain est le monde, un monde où l’on n’a appris et ne sait prononcer que les quelques mots se rapportant à l’hygiène et la propreté et point d’autres. En ce cas la signification imaginaire sociale intériorisée, le pouvoir instituant déjà-là sera l’absolue nécessité de se laver, d’être propre et sentir bon, et le pouvoir explicite seront brosses, savons, parfums (la salle de bain elle-même) mais le pouvoir explicite sera également pour l’enfant récalcitrant la fessée ! ou, pour l’adolescent la certitude d’être dans l’impossibilité de séduire et de plaire s’il n’a pas accompli certaines tâches rituelles. Mais ce n’est pas tout, le dispositif ne serait pas complet s’il n’y avait les représentations matérialisées : une infinité d’images allant de « Suzanne au bain » à « Numéro Cinq de Chanel » renvoyant à une formidable batterie de significations imaginaires ou de valeurs sociales comme beauté, santé, séduction, luxe, élégance, etc. Le tout exposé en permanence à la vue (et l’ouie) sur l’espace public. C’est ce dont nous allons traiter à présent.
Certes, on peut toujours essayer de jeter le bébé avec l’eau du bain, hélas, en l’occurrence le bain est un océan d’où aucun continent n’émerge, le bain c’est le monde et nous n’en avons point d’autre de rechange, sauf à en inventer et faire surgir un autre...
Nous avons utilisé là en guise de métaphore une seule chaîne de signification : « hygiène-beauté », mais nous aurions pu faire de même avec vitesse, confort, tourisme, science, progrès, développement, croissance... Fondues ensembles, toutes ces valeurs forment un tout : la société contemporaine où nous sommes à la fois acteurs et spectateurs.
c) La représentation
Pour aborder cet aspect du pouvoir, de la représentation du pouvoir, — pléonasme dirait Louis Marin puisque « représentation et pouvoir sont de même nature » —, c’est à ce dernier que nous ferons appel (« Le portrait du roi » Minuit, 1981, pp. 9-11). Louis Marin, 1931-1992, philosophe, directeur d’études à l’EHESS, fut l’un des plus grands spécialistes des systèmes de représentation.
« Qu’est-ce que re-présenter sinon présenter à nouveau (dans la modalité du temps), ou à la place de... (dans celle de l’espace) » (...) « tel serait le premier effet de la représentation en général : faire comme si l’autre, l’absent, était ici et maintenant le même (...). Ce n’est certes pas le même, mais tout se passe comme si ce l’était et souvent mieux que le même. » [Louis Marin invoque comme exemple la représentation picturale ou photographique de l’absent, du mort.]
« Deuxième effet de la représentation (...) constituer un sujet par réflexion du dispositif représentatif » « La représentation reste ici dans l’élément du même qu’elle intensifie par redoublement. En ce sens, elle est sa réflexion et représenter sera toujours se présenter représentant quelque chose. » [Louis Marin prend ici le cas de l’homme qui présente son passeport à la frontière, non seulement il se présente lui-même mais encore il présente sa présence légitime par le signe ou le titre qui autorise ou permet.]
« Premier effet du dispositif représentatif, premier pouvoir de la représentation : effet et pouvoir de présence au lieu de l’absence et de la mort ; deuxième effet, deuxième pouvoir : effet de sujet, c’est-à-dire pouvoir d’institution, d’autorisation et de légitimation comme résultante du fonctionnement réfléchi du dispositif sur lui-même » (...) « autrement dit, si la représentation non seulement reproduit en fait, mais encore en droit les conditions qui rendent possible sa reproduction, alors on comprend l’intérêt du pouvoir à se l’approprier. Représentation et pouvoir sont de même nature. »
d) Le « dispositif »
Louis Marin emploie à de nombreuses reprises le mot « dispositif » relativement au pouvoir.
« Première relation : l’institution du pouvoir s’approprie la représentation comme sienne. Il se donne des représentations, il produit ses représentations de langage et d’image » (...) « Deuxième relation : la représentation, le dispositif de la représentation produit son pouvoir, il se produit comme pouvoir. » (p.9).
Ce terme « dispositif » a de quoi éveiller notre curiosité. Dispositif : « ensemble de moyens disposés conformément à un plan » (Robert). Il y aurait donc un plan ? Oui il y a un plan pour le pouvoir ; nous savons que le pouvoir doit durer, il doit se perpétrer et pour cela s’inscrire dans les esprits, dans la psyché, mais il doit s’inscrire aussi dans l’espace, au sol, et ceci d’une certaine façon dans le but d’être vu ostensiblement.
Louis Marin : « la représentation, [non seulement] signifie la force dans le discours de la loi, [mais encore,] la représentation met la force en signes (...), signes de la force qui n’ont besoin que d’être vus pour que la force soit crue », in Le portrait du roi, Minuit, 1981, p.11. [C’est l’auteur qui souligne]
Il nous faut à présent abandonner la théorie du pouvoir pour la pratique du pouvoir et entrer dans la description du « dispositif » invoqué par LM, sa matérialité qui est aussi pouvoir en elle-même et par elle-même. Pour savoir comment le pouvoir institué s’incarne dans les représentations et se les approprie, comment le dispositif de représentation symbolique devient lui-même pouvoir, il nous faut chercher le lieu de tout cela. Car, qu’il s’agisse d’institution, qu’il s’agisse d’incarnation, qu’il s’agisse de représentation, tout cela qui sert le pouvoir, qui est pouvoir, a bien forme et figure, a bien lieu. Quel est donc ce lieu ?
III) ESPACES PUBLICS
a) Le lieu du pouvoir
Assurément un tel lieu ne peut être que visible de tous, appartenir à tous et à personne en particulier, c’est lui qui montre et est montré, c’est lui qui est sens et fait sens, qui institue en étant collectivement institué selon les thèses de Cornélius Castoriadis. Quel est donc ce lieu qui est le ciment, le vivre-ensemble de toute société et en contient toutes les valeurs symboliques ? Qui emporte la croyance en sorte qu’elle soit intériorisée par tous, au besoin la fait obligatoire par la force ou le droit, (nous le verrons) ? Qui porte la matérialité et l’incarnation du pouvoir et ses hiérarchies par des représentations symboliques, lesquelles à leur tour se produisent elles-mêmes comme pouvoir ?
Ce lieu existe, il a un nom et fut parfaitement institué, il se nomme l’espace public et c’est bien entre l’Athènes chère à Castoriadis et la Rome impériale qu’il fut institué pour la première fois dans le droit écrit : « Toute société institue à la fois son institution et la ‘‘légitimation’’ de celle-ci » (C. Castoriadis, CduL,VI. p.67) et si « instituer, c’est faire advenir à l’univers juridique » (Martine Rémond-Gouilloud, in L’homme, la nature et le droit (collectif), Bourgois, 1988, p.203), nous allons en effet trouver dans le droit l’existence légitime de cet espace public.
b) Lieu et légitimité
Selon le droit romain, toute les choses (res en latin) du monde étaient classées en trois catégories (nous simplifions ; voir sur ces questions Paul Frédéric Girard : Manuel élémentaire de droit romain, Paris Rousseau, 1918)
— les res propria, biens qui appartiennent en propre à quelqu’un,
— les res nullius (ou res communes), biens sans maître mais dont on peut user sans abuser, choses et fruits de la nature, air, eau, vent, etc. réputés à l’époque inépuisables.
— enfin, les res publicae, biens sans maître, mais essentiels au bon fonctionnement de la cité, institués, bâtis, établis à l’usage du peuple comme institution, pour son édification et en principe, placés sous son administration.
c) Res publicae
À l’évidence c’est la res publicae qui contient ce que nous cherchons, (notons au passage la fortune étymologique de cette locution, laquelle conduira à la formation du mot République). C’est sous cette catégorie du droit que les anciens classaient effectivement les éléments constitutifs de ce que nous nommons l’espace public, soit en clair : le pouvoir et son « dispositif ». Et ceci inclut l’ensemble des institutions matérialisées qui y contribuent, ainsi que tout l’appareil symbolique propre au pouvoir, son cérémoniel, ses représentations monumentales ou ritualisées, en un mot le dispositif évoqué par Louis Marin. Lieu institué collectivement, l’espace public est bien ce lieu visible de tous, qui appartient à tous et à personne en particulier, qui montre et est montré pour contenir toutes les valeurs symboliques, qui donc est sens et fait sens. Et si l’espace public est institué pour montrer le pouvoir, il montrera effectivement la loi gravée dans le marbre, nous en voulons pour exemple le Code Hammourabi, roi de Babylone, gravé sur une stèle de basalte vers 1780 avant J.-C. (découvert en 1902, ce monument est aujourd’hui au Louvre). Autre exemple fameux : les « XII tables » à l’origine du droit romain ; elles eurent moins de chance que le Code Hammourabi, rédigées vers 451/449 avant J.-C. (Ellul, 275), fondues dans le bronze — selon la tradition — et exposées à Rome sur le forum elles furent détruites ou emportées par les Gaulois lors du sac de la ville vers 390 av.J.-C. (Ellul, 263). Enfin et pour enfoncer le clou, je rappelle à votre mémoire l’article 124 et dernier de la Constitution de 1793 l’An I de la République : « La déclaration des Droits [de l’Homme et du Citoyen] et l’acte constitutionnel sont gravés sur des tables au sein du Corps législatif et dans les places publiques ».
Ainsi, de même que nous avons vu cette tautologie : La première Loi est de dire que la loi est première, nous en trouvons la contrepartie concernant l’espace public res publica : la loi fonde l’espace public qui fonde la loi à son tour, (la loi institue l’espace public, — le crée comme res publica, — comme catégorie majeure afin que ce dernier, à son tour, affichât ostensiblement la loi).
On ne plaisante pas avec la « publicité », prise dans son sens littéral : caractère de ce qui est public. Du reste, pour ceux qui ont l’intention de se marier bientôt, il est toujours obligatoire de publier les bans au moins quinze jours avant la cérémonie !
d) Trois Espaces publics
Bien sûr, cet espace public a évolué au fil des siècle, il s’est étendu à des « espaces » impensables aux hommes anciens. Nous pouvons en effet découper l’espace public en trois entités distinctes et superposées qui chacune apparaissent à un moment de notre histoire. Aucune d’entre elles ne vient remplacer l’autre mais le tout s’amplifie au contraire, ce qui revient à dire en somme, qu’à travers les différents états successifs de l’espace public le pouvoir s’est étendu. L’histoire de l’espace public se décompose donc, selon nous, en trois déploiements successifs : un premier espace public « tangible » auquel se superposera d’abord un espace public « papier », puis un espace public « écran ».
— L’espace public tangible. Nous retiendrons comme premier état de l’espace public celui où parviennent les sociétés dès lors qu’elles se sédentarisent tout en pratiquant l’élevage, la domestication et l’agriculture, soit le néolithique. Du néolithique jusqu’à l’invention de l’imprimerie dès la Renaissance, on peut considérer l’espace public comme unique : il est seul et n’est doublé d’aucun autre. Essentiellement traduit et matérialisé en volume, en relief, en dur, nous le nommons espace public tangible ; nous l’avons toujours sous nos yeux, augmenté de ce que les différentes époques historiques, leurs valeurs symboliques et leurs moyens techniques successifs y ont ajouté. Du point de vue de sa substance — de sa traduction physique —, cet espace public tangible, en relief, bâti, construit, et dont le monument est l’archétype, illustre et matérialise les valeurs symboliques qui assurent la cohésion de la société considérée, mais aussi les pouvoirs qui y réalisent là leur pleine puissance, que ce soit par la soumission volontaire ou la contrainte, par la croyance intériorisée ou l’étonnement provoqué. Cet espace public tangible se caractérise donc, principalement, par le « monumental ostentatoire ». Donnons quelques exemples du monumental en mélangeant ancien et moderne : temples, palais, statues des dieux ou des héros, arcs de triomphe, colonnades, cité, citadelle, remparts, fortins et casernes de même que tribunaux et palais de justice, cathédrales, arènes, stades, gymnases, théâtres, mairies, hôtels de ville, préfectures, conseils généraux, régionaux, sièges de grandes entreprises, de banques, de compagnies d’assurances, d’institutions internationales politiques ou culturelles, ONU, UNESCO, musées, fondations, ajoutons les monuments du génie civil : tour Eiffel, viaducs (de Millau), ponts, ports, gares, aéroports et autres technopoles et « nœuds intermodaux ». Tout cela est sur l’espace public, est édifié pour édifier. Nous évoquons là le bâti, mais le non-bâti lui-même peut être espace public tangible, d’une certaine façon « monumental » et chargé d’une forte symbolique par simple agencement perspectif de l’espace : pour Paris, le Champs de Mars menant à la tour Eiffel, les Champs-Élysées menant à l’arc de triomphe, ainsi chaque capitale aura sa Perspective Nevski.
— L’espace public papier. Il faut attendre l’arrivée de l’imprimerie et de la gravure (1450) pour voir surgir et se déployer, dans les quelques siècles qui suivirent cette remarquable invention, un second espace public — virtuel, fait de papier couvert de signes —, qui vient doubler le premier de façon suffisamment significative pour entraîner de profonds changements politiques et sociaux. Ce second espace que matérialisent livres et gravures abondamment multipliés est bien un nouvel espace public (nous renvoyons sur ce sujet au livre magistral de Jürgen Habermas : L’espace public, Payot, 1993) ; accessible à tous, il permet comme le premier, tangible, la mise en commun des valeurs symboliques nouvellement créées ainsi que de leurs représentations. Les conditions à réunir pour que ce changement s’opère furent d’ordre culturel autant qu’économique. Au point de vue culturel, ces changements ne purent trouver un terreau qu’à la condition qu’il soit fertile d’un nombre suffisant d’individualités se dégageant du commun par la puissance de la pensée et le besoin de savoir, d’auteurs et de lecteurs ; en tout cas d’individus pensant et se pensant, ayant d’une certaine façon conquis l’autonomos de la raison (ainsi que Castoriadis a pu le dire de l’Athènes démocratique). Enfin, c’est au cours de cette période qu’émerge un véritable pouvoir économique capable de rivaliser puis de supplanter les deux plus anciens (sacrum et imperium), il se manifeste par l’émergence de la puissance financière et industrielle à travers la bourgeoisie (banque, propriété foncière, manufactures, négoce). Ainsi donc, l’avènement du pouvoir économique, se fit simultanément à ce qu’il est convenu de nommer le pouvoir de l’opinion et de la raison, qui se formera en trois siècles : de l’invention de l’imprimerie jusqu’aux révolutions politiques et économiques de la fin du XVIIIe, en Europe et aux États-Unis. Ce qui le caractérise sera l’émergence de la bourgeoisie et plus largement d’une « société civile » porteuse d’une opinion capable de s’opposer d’abord au pouvoir religieux et politique, puis plus tard au pouvoir économique.
— Enfin, l’espace public écran. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle que commence à se déployer le dernier-né des espaces publics, issu de l’enchaînement technique photographie-cinéma-télévision, c’est l’espace public virtuel « écran » auquel viendra s’adjoindre l’ordinateur, l’Internet et leurs dérivés. Comme pour le second espace public de papier il est virtuel, mais ici, la puissance économique décuplée sera totalement déterminante quant aux avancées et aux choix techniques réalisés afin que l’espace public écran impose définitivement sa domination sur les deux premiers. À l’instar des deux espaces publics précédents, il en possède les vertus : mise en commun des valeurs symboliques nouvellement créées ainsi que de leurs représentations établissant le pouvoir. Cet espace public de l’écran est constitué exclusivement d’un flux constant, permanent et mondialement répandu. Ayant réalisé techniquement la synthèse de l’image, du mouvement, de la parole, du son et musique, en une seule médiation purement visuelle, c’est l’omniprésence du visuel et sa consommation massive et passive qui le caractérise, ce pourquoi il n’est même plus nécessaire d’y posséder parfaitement les codes de la lecture (contrairement au précédent), et il s’accommode fort bien d’un certain niveau d’illettrisme.
e) Durée et visibilité, le renversement
L’espace public sous ses trois formes est le lieu du pouvoir, pour autant, la pleine légitimité ne lui sera acquise que s’il dure sur l’espace public, d’une part et d’autre part, que s’il s’y voit, ce que nous traduisons par le monumental et l’ostentatoire.
Le monumental sera la constante temps et durée.
Aloïs Riegl : « par monument, au sens le plus ancien et véritablement originel du terme, on entend une œuvre créée de la main de l’homme et édifiée dans le but précis de conserver toujours présent et vivant dans la conscience des générations futures le souvenir de telle action ou telle destinée », Le culte moderne des monuments [1903], Seuil, 1984, p.35.
L’ostentatoire sera la constante visibilité et publicité (caractère de ce qui est public).
Carl Schmitt : « La lutte pour la représentation est toujours une lutte pour le pouvoir politique » or « il n’y a de représentation que s’il y a publicité » in Verfassungslehre, Berlin, 1957, 3°éd. p.212, [cité par Julien Freund in « L’essence du politique », Paris, Sirey, 1965, p.331 et 329].
Ainsi le pouvoir pour tenir debout, pour avoir une matérialité sur l’espace public, s’appuie sur ces deux piliers que sont la durée (temps) et la visibilité (espace), chacun multipliant les effets de l’autre. Sa légitimité, outre le droit, ne s’instituant pleinement que par ces deux voies, or seul l’espace public garantit durée et visibilité. Ainsi, lorsqu’une quelconque valeur symbolique — quelle qu’elle soit — devient ostentatoire sur l’espace public, elle participe du pouvoir : l’homme pour ces valeurs auxquelles il croit profondément peut aller jusqu’à sacrifier ou offrir sa vie, ses biens et les siens : honneur, église, démocratie, patrie, nation, etc.
Mais par un renversement extraordinaire il se trouve que des « valeurs » d’une autre espèce et des plus triviales soient promues à leur tour sur l’espace-public-pouvoir : confort, mode, vitesse, progrès, développement, croissance... C’est ici que s’opère le renversement : si les deux composantes des pouvoirs matérialisés — durée et visibilité —, furent en équilibre relatif sur les espaces publics « tangible » et « papier » pour construire les pouvoirs au travers des institutions, il n’en va pas de même sur le dernier-né des espaces publics, celui de l’écran.
f) Faire écran
En effet, ce dernier opère — par la toute-puissance économique et financière entraînant une maîtrise scientifique et technique encore inconnue —, un renversement quant à l’essence du pouvoir et, partant, de toute légitimité sur l’espace public. Là où autrefois il fallait concilier durée (temps) et visibilité (espace) pour s’affirmer comme pouvoir au travers les institutions, il suffira désormais à la puissance économique de construire de toutes pièces et rapidement, — c’est-à-dire sans le concours du temps —, un espace public fait de pure médiation visuelle, pour accéder au pouvoir et faire passer pour légitime ce qui ne l’était pas, c’est-à-dire ses propres valeurs, celles de l’économie comme fin en soi. Le temps lui-même, comme durée, comme écoulement, reste impossible à manipuler, à acheter, par contre l’espace visible, est plus vénal ; il suffira donc à la puissance de l’argent de fabriquer ce nouvel espace public, que nous nommons « écran », à sa mesure et dans le même temps d’acheter, envahir ou corrompre tous les espaces publics déjà-là (tangible et papier) pour asseoir définitivement sa légitimité et devenir pouvoir absolu. Ce renversement est total (et totalitaire) en ce que — outre l’espace écran, son pur produit — se trouvent ainsi corrompus l’espace public premier et tangible mais également l’espace public papier. Quant à l’espace privé, s’il était autrefois un rempart et peu ou prou un refuge contre les pouvoirs, c’est aujourd’hui se distinguer que de posséder chez soi, en s’endettant, le plus d’écrans et les plus grands.
IV) L’Infini Saturé
a) arraisonnement de l’espace public
Nous nommons Infini Saturé l’arraisonnement de la totalité des espaces publics par le pouvoir — devenu unique — de l’économie mondialisée ; ce qui confirme au mieux sa parfaite réalisation est l’arraisonnent, dans le même mouvement, de tout espace privé. Comment l’économie est-elle devenue un pouvoir unique ? La raison économique comme valeur centrale des sociétés occidentales est un phénomène récent, qui n’a pas plus de cinq siècles. Cette période fut employée à faire converger, principalement sur la vieille Europe colonialiste, les richesses planétaires, tant comme stock (matières premières, énergies fossiles) que comme flux (force de travail par l’esclavage, le sous-salariat, la prolétarisation). En outre, les richesses ne furent pas seulement employées à être consommées sur-le-champ, mais par le truchement des sciences et techniques elles furent utilisées à fabriquer de nouvelles richesses et nouveaux biens ; plus encore, comme l’avait déjà vu Marx, à produire celui à qui elles étaient destinées : le client, avec comme valeurs centrales progrès et technique ainsi que leurs dérivés plus triviaux : le développement, l’emploi, la consommation, la nouveauté, la mode, etc. La production du client fut la tâche que s’assigna l’espace public écran et sa réalisation achevée est l’Infini Saturé.
Le pouvoir de l’opinion, né de l’espace public papier a pu s’opposer (un temps) aux trois autres, religieux, politique, économique — lesquels y répondirent par toutes sortes de dispositions et manœuvres : interdictions, lois et décrets, de la mise à l’index à la répression armée en passant par la censure et la corruption —, mais le pouvoir économique, depuis la naissance des banques, des billets à ordre, de la monnaie de papier, du crédit, ne cessera de grandir et de s’imposer au fil des siècles ; se rendant indispensable à tous, il l’emporte finalement sur tous les pouvoirs et plus gravement sur la raison et le pouvoir d’opinion.
Alors que le premier espace public tangible tenta d’édifier, le second, de papier, se risqua à éduquer ; quant au troisième, par l’écran il parvient à divertir. L’arraisonnement sera réalisé dès lors que les deux premiers espaces publics auront été annexés et se seront soumis au principe du troisième : édifier en divertissant, éduquer en divertissant. En outre le troisième espace public possède sur les deux autres l’absolue supériorité de pénétrer efficacement l’ensemble des espaces privés sans qu’il soit fait appel au vouloir, mais à la simple passivité, qui plus est : divertissante. Nous sommes ainsi spoliés de notre espace privé et de notre espace public — res publica — propriété commune, fondement de la République, qui véhiculait une grande diversité de valeurs, de croyances et de savoirs, s’opposant les uns les autres, au profit d’un espace public dont les trois formes sont arraisonnées par l’unique pouvoir économique nous imposant les seules valeurs, croyances et savoirs qui lui sont favorables.
b) le ravissement
C’est là proprement le « ravissement », le rapt du savoir et du croire, des consciences et du désir dans l’heureux et perpétuel enchantement. S’exposer au pouvoir, se manifestant sur l’espace public tangible et premier, demandait un effort, demandait une participation : il fallait quitter son espace privé pour s’y soumettre ; l’espace virtuel papier impliquait, lui, discernement et choix individuels, et de plus la possession de codes comme la lecture, ainsi que plus ou moins la faculté de raisonner. Inversement, l’Infini Saturé ne demande ni effort, ni participation active, ni discernement, ni raisonnement. S’il exige de nous un effort c’est celui qu’il faut déployer pour lui échapper. « Il ne reste plus, selon Serge Latouche, (Le pari de la décroissance, Fayard, 2006, p.209 et 276) que la possibilité d’entrer en dissidence ». Mais comment entrer en dissidence alors que le ravissement est double : une première fois parce qu’il a capté toutes les valeurs ; une seconde fois en ce qu’il nous captive par la séduction et l’apparente innocence du divertissement ?
c) L’autonomos
L’espace public, s’il n’est pas une cause première au sens des philosophes, l’est sur le terrain des valeurs qui déterminent nos comportements collectifs, son arraisonnement nous permet d’expliquer — non d’excuser — bon nombre d’aveuglements, illusions et aberrations touchant à nos sociétés et à leurs égarements. Sous ses trois formes, il est celui qui montre, qui enseigne à tous et qui enseigne à celui qui enseigne. Il est bien peu de choses que nous sachions, auxquelles nous croyons, que nous enseignons, qui ne viennent pas de lui (quand bien même les pensons-nous nôtres et issues de l’espace privé). C’est à des questions telles que « pourquoi nous est-il impossible de changer de cap ? », « pourquoi ne maîtrisons-nous pas la technique » (ou le progrès, le développement, la croissance, etc.), ou bien « comment savons-nous ce que nous savons ? », (ou croyons-nous ce que nous croyons) que répond la notion d’Infini Saturé. C’est l’Infini Saturé Grand Professeur, infini parce rien ne peut entraver le développement ni borner les limites du virtuel ; saturé pour être une sorte de bouteille molle qui n’est emplie que de ce que l’économie marchande y met et grand professeur parce que sous son règne, le pouvoir économique ayant arraisonné tous les espaces publics devient, dès lors, maître de la visibilité, de l’ostentatoire, de la publicité, maître du croire, du savoir, mais encore du désir. Où que nos yeux se posent, quoi que nos oreilles entendent et nos mains saisissent, c’est lui qui impose les valeurs — ses valeurs —, au détriment de toutes les autres. Quid, en ce cas, de la « visibilité » dès lors qu’acquérir une visibilité sur l’espace public au siècle de l’Infini Saturé ne sera possible qu’à la condition que nous puissions nous hausser à la puissance de ses nouveaux producteurs ; y parviendrions-nous que nous n’aurions fait que nous soumettre aux règles que ces nouveaux producteurs ont édictées ; un exemple à méditer sera celui de l’hélicologiste Nicolas Hulot, pur produit médiatique.
Je n’ai certes pas cherché à désespérer pas plus qu’à faire espérer. Mon intention était de désigner clairement l’adversaire, non point de le dire invincible. Mais il est certain qu’ignorer ou encore sous-estimer la puissance de l’Infini Saturé conduirait à l’échec. Des interstices existent encore sur l’Infini Saturé, à nous de les occuper, de les multiplier, de recréer un espace public vrai — res publica — libre et non affermé, garantissant seul la circulation de tous les savoirs. Collectivement, efforçons-nous de (re)créer les conditions de l’autonomos cher à Castoriadis, « les hommes assemblés se donnant à eux-mêmes leurs propres lois... », « sachant qu’ils le font », ajoutait-il, (si le philosophe était encore en vie il nous démontrerait assurément que nous avons régressé dans l’hétéronomos pré-athénien) ; efforçons-nous donc de recréer les conditions de l’assemblée des hommes, ce sont aussi celles du vivre-ensemble.
V) CONCLUSION : Laver le pont du bateau qui coule ?
Pourquoi ai-je insisté pour vous infliger cette corvée qui a consisté pendant quelques heures à en passer par toutes ces choses compliquées ? (Entre nous, je vous remercie de m’avoir permis de le faire et de votre attention !) Et si ces choses sont compliquées, ce n’est pas de mon vouloir, je les ai trouvées telles et même encore plus compliquées, mon seul mérite et quelque part mon risque a été de les avoir simplifiées à l’extrême. Ma question première à été : faut-il laver le pont du bateau qui coule ? Autrement dit, avant de parler de décroissance ne fallait-il pas se questionner sérieusement sur ce qui nous a conduit au bord du gouffre ?
La plupart des réponses généralement invoquées sont : la croissance, le progrès, le capitalisme, l’économie folle, etc., mais en ce cas qu’est-ce qui fait croître la croissance ? progresser le progrès ? qu’est-ce qui rend fou le capitalisme et l’économie ?
J’ai donc cherché à vous montrer combien ces réponses sont hétéronomiques et qu’il fallait remonter plus haut en amont où se trouvent ces choses si compliquées touchant aux valeurs symboliques, aux pouvoirs et à leurs représentations.
Que faire à présent pour nous protéger de ces pouvoirs ? Dans un premier temps il fallait que la carte en soit dressée, que la généalogie en soit établie, bien sûr, — nous pouvons toujours discuter de cela et l’améliorer ensemble, ce serait souhaitable — ; mais quoi qu’il en soit, une conférence ne sera jamais qu’une conférence, pour aller plus loin il faudra entreprendre un véritable travail collectif de « décolonisation de l’imaginaire », c’est le mot de Castoriadis et Serge Latouche en a fait le titre d’un de ses livres. Au niveau de colonisation où en sont nos imaginaires, c’est effectivement un véritable travail qui doit être entrepris collectivement et cela beaucoup d’entre nous n’en aurons ni le temps ni la volonté, ce qui se conçoit. Outre cela, ceux qui décideront de l’entreprendre ne devront pas se couper de ceux qui sont simplement curieux de la chose, c’est donc — probablement — vers une succession de cercles concentriques et poreux qu’il faudra se diriger.
Un second aspect de la tâche à entreprendre sera : quelle est la forme de pouvoir, de « nomos » que nous entendons nous donner au sein de cette « assemblée des hommes », pour aborder le problème de la décroissance (en clair comment gérer consciemment cette forme relative et interne de pouvoir que créée tout institution), c’est le pouvoir relatif que j’évoquais au début de cet entretien.
Petit rappel pour ceux qui étaient absents lors de ce premier entretien (mardi 6 mars 07) : à travers l'œuvre de CC nous avons pu aborder un certain nombre de concepts qui nous seront fort utiles pour « penser » non seulement la décroissance, mais tout autant nos propres relations au sein de cette « assemblée des hommes » (CC) qu’est La Bisontine de Décroissance (ce qui n’est autre qu’expérimenter à échelle réduite « l’autonomos » castoriadien).
I) Cornélius CASTORIADIS (1922 - 1997)
Son parcours politique - critique de l’économie marchande - les outils de CC.
II) L’INSTITUTION
« Est institution tout ce qui est volontairement organisé par une société donnée » (J. Ellul) — a) l’institution (1) imaginaire (2) sociale (3) — b) hétéronomie/autonomie.
III) COMMENT AGIT ET OPERE L’INSTITUTION
L’institution première de la société est la société elle-même — Par le langage d’abord — Les structures, les catégories — L’institution produit le « sens » (les valeurs) pour tous. — « Institutions imaginaires sociales » = valeurs symboliques (Dieu, patrie, nation — Mode, vitesse, confort) — le « symbolique » (un pain / une hostie) —— L’institution produit La loi (le nomos) et le Pouvoir.
(nous n’avons traité que de la Loi ce mardi 6 mars)
IV) LA LOI
« Toute société institue à la fois son institution et la légitimation de celle-ci » — La première Loi est de dire que la loi est première.
a) L’Hétéronomos : La Loi vient d’ailleurs, elle est inquestionnable. (Les trois ruses de l’institution) — les trois dangers de l’hétéronomie.
b) L’Autonomos : « Se donner à soi-même ses propres lois » « ...sachant qu’on le fait » — Naissance de la philosophie, de la démocratie, de la politique — L’autonomos : projet véritablement révolutionnaire pour Castoriadis.
Reste à traiter : LE(S) POUVOIR(S)
I) POUVOIRS
Nous traiterons de la question du pouvoir en deux grands chapitres : le pouvoir « en général » et le pouvoir « relatif ».
Dans le premier cas il s’agit de voir comment le pouvoir façonne la société dans sa globalité, nous nous attarderons ensuite sur un aspect du pouvoir que n’a pas développé CC : celui de sa matérialité, de ses traces et représentations, (nous emprunterons cette fois à Louis Marin) enfin nous traiterons des lieux sur lesquels tout pouvoir s’incarne, à savoir — selon moi — essentiellement l’espace public, monumental et ostentatoire (ce que je nomme l’Infini Saturé) et que je propose à la discussion.
Dans le deuxième cas « relativement » à cette petite « assemblée des hommes » qui nous formons ici et maintenant, laquelle a décidé de « s’instituer » dans ce cadre qu’est la décroissance, sachant que nous avons appris par l’entretien précédant qu’à chaque fois qu’il y a institution, il y a fatalement « pouvoir ». En effet, nous assembler pour délibérer correctement, pour nous donner à nous-mêmes nos propres lois, implique nécessairement de gérer consciemment une forme relative et interne de pouvoir. Il est de la plus haute importance que nous sachions cela, que nous agissions en pleine connaissance de cause.
II) DU POUVOIR EN GÉNÉRAL
a) Pourquoi y a-t-il du pouvoir ?
Parce que « toute société doit se conserver, se préserver, se défendre. Elle est constamment mise en cause d’abord par le déroulement du monde, l’inframonde tel qu’il est avant sa construction sociale. Elle est menacée par elle-même, par son propre imaginaire qui peut ressurgir et mettre en cause l’institution existante. Elle est aussi menacée par les transgressions individuelles (...). Elle est enfin menacée, jusqu’à nouvel ordre, par les autres sociétés. Aussi et surtout, chaque société est plongée dans une dimension temporelle immaîtrisable, un avenir qui est à faire, relativement auquel il y a non seulement des incertitudes énormes, mais des décisions qui doivent être prises. » CduL IV, p.160
b) Pouvoir intituant / pouvoir institué
CC distingue deux catégories de pouvoirs, un pouvoir instituant (jamais pleinement explicitable) et un pouvoir institué ou explicite.
Cette distinction n’étant pas très pertinente dans le cadre de cet exposé, nous n’insisterons pas ici (et pourrons développer ailleurs). Il suffit de retenir que le pouvoir instituant est le pouvoir déjà-là, celui que l’on trouve dès sa naissance dans la société telle qu’elle fut instituée avant soi.
CdL, III (1990), p.118-119, (c’est nous qui soulignons et commentons entre crochets) :
« Le versant social de ce processus [du pouvoir] est l’ensemble des institutions où baigne constamment l’être humain dès sa naissance, et en tout premier lieu l’autre social, (...) qui prend soin de lui en étant déjà lui-même socialisé d’une manière déterminée, et le langage que cet autre parle ».
[Castoriadis précise ici que cet « autre social » est « généralement mais non inéluctablement la mère »]
« Dans une vue plus abstraite, il s’agit de la ’’part’’ de toutes les institutions qui vise l’écolage, l’élevage, l’éducation des nouveaux venus — ce que les Grecs appelaient paideia : famille, classes d’âge, rites, école, coutumes et lois, etc. La validité effective des institutions est ainsi assurée d’abord et avant tout par le processus même moyennant lequel le petit monstre vagissant devient individu social. Il ne peut le devenir que pour autant qu’il les a intériorisées.
Si nous définissons comme pouvoir la capacité pour une instance quelconque (personnelle ou impersonnelle) d’amener quelqu’un (ou quelques-uns) à faire (ou ne pas faire) ce que laissé à lui-même, il n’aurait pas nécessairement fait (ou aurait peut-être fait), il est immédiat que le plus grand pouvoir concevable est celui de préformer quelqu’un de sorte que de lui-même il fasse ce qu’on voudrait qu’il fasse sans aucun besoin de domination (...) ou de pouvoir explicite pour l’amener à... Il est tout aussi immédiat que cela crée, pour le sujet assujetti à cette formation (...) l’apparence de la ’’spontanéité’’ la plus complète et la réalité de l’hétéronomie la plus totale possible » (...)
Quant au pouvoir institué, c’est celui auquel il faut avoir recours lorsque le premier a échoué : le pouvoir institué est fait pour ceux qui n’ayant pas correctement intériorisé les règles du déjà-là représentent une menace pour la société et le pouvoir instituant. En bref, ceux qui ne sont pas spontanément dociles...
Et CC poursuit (p.118) : « Relativement à ce pouvoir absolu, tout pouvoir explicite et toute domination sont déficients et témoignent d’un échec irrémédiable »
Cumulés, pouvoir instituant et pouvoir institué forment « l’infra-pouvoir ».
« Il reste que l’infra-pouvoir en question, le pouvoir instituant, est à la fois celui de l’imaginaire instituant, [celui] de la société instituée et de toute l’histoire [cumulée-vécue par cette société] qui y trouve son aboutissement passager. C’est donc, en un sens, le pouvoir du champ social-historique lui-même, le pouvoir d’outis, de Personne. » (p.119). « Cet infra pouvoir — manifestation et dimension du pouvoir instituant de l’imaginaire radical — n’est pas localisable. Il n’est certes jamais celui d’un individu ou même d’une instance désignables. Il est ’’exercé’’ par la société instituée, mais derrière celle-ci se tient la société instituante (...) » (p.118)
Castoriadis, pour s’en être tenu aux fondements ontologiques, à la question des origines du pouvoir, à sa théorie psycho-sociale, en un mot à ses principes, n’a pas exploré (ou n’a pas eu le temps d’explorer) ce que l’on pourrait appeler les « modalités pratiques », plus ou moins non-violentes, d’exercice et de propagation du pouvoir explicite, son « exercice », ses moyens, ses méthodes, en un mot sa matérialité (et nous ne saurions le lui reprocher !), or si le pouvoir est outis, est personne en particulier, ses effets, son « exercice » est lui — en revanche — parfaitement localisable, parfaitement nommable. La matérialité du pouvoir, en effet, passe sans y être totalement circonscrite, par ce qu’il est convenu de nommer les « représentations », cette matérialité conduit aussi à la problématique du « lieu » de la représentation, son théâtre, car tout cela ne tient pas tout seul en l’air, mais a bien lieu quelque part.
Avant d’aborder la représentation, et pour donner une image frappante nous pourrions dire que le pouvoir instituant est le bain dans lequel nous sommes immergés dès l’enfance ; ce bain est le monde, un monde où l’on n’a appris et ne sait prononcer que les quelques mots se rapportant à l’hygiène et la propreté et point d’autres. En ce cas la signification imaginaire sociale intériorisée, le pouvoir instituant déjà-là sera l’absolue nécessité de se laver, d’être propre et sentir bon, et le pouvoir explicite seront brosses, savons, parfums (la salle de bain elle-même) mais le pouvoir explicite sera également pour l’enfant récalcitrant la fessée ! ou, pour l’adolescent la certitude d’être dans l’impossibilité de séduire et de plaire s’il n’a pas accompli certaines tâches rituelles. Mais ce n’est pas tout, le dispositif ne serait pas complet s’il n’y avait les représentations matérialisées : une infinité d’images allant de « Suzanne au bain » à « Numéro Cinq de Chanel » renvoyant à une formidable batterie de significations imaginaires ou de valeurs sociales comme beauté, santé, séduction, luxe, élégance, etc. Le tout exposé en permanence à la vue (et l’ouie) sur l’espace public. C’est ce dont nous allons traiter à présent.
Certes, on peut toujours essayer de jeter le bébé avec l’eau du bain, hélas, en l’occurrence le bain est un océan d’où aucun continent n’émerge, le bain c’est le monde et nous n’en avons point d’autre de rechange, sauf à en inventer et faire surgir un autre...
Nous avons utilisé là en guise de métaphore une seule chaîne de signification : « hygiène-beauté », mais nous aurions pu faire de même avec vitesse, confort, tourisme, science, progrès, développement, croissance... Fondues ensembles, toutes ces valeurs forment un tout : la société contemporaine où nous sommes à la fois acteurs et spectateurs.
c) La représentation
Pour aborder cet aspect du pouvoir, de la représentation du pouvoir, — pléonasme dirait Louis Marin puisque « représentation et pouvoir sont de même nature » —, c’est à ce dernier que nous ferons appel (« Le portrait du roi » Minuit, 1981, pp. 9-11). Louis Marin, 1931-1992, philosophe, directeur d’études à l’EHESS, fut l’un des plus grands spécialistes des systèmes de représentation.
« Qu’est-ce que re-présenter sinon présenter à nouveau (dans la modalité du temps), ou à la place de... (dans celle de l’espace) » (...) « tel serait le premier effet de la représentation en général : faire comme si l’autre, l’absent, était ici et maintenant le même (...). Ce n’est certes pas le même, mais tout se passe comme si ce l’était et souvent mieux que le même. » [Louis Marin invoque comme exemple la représentation picturale ou photographique de l’absent, du mort.]
« Deuxième effet de la représentation (...) constituer un sujet par réflexion du dispositif représentatif » « La représentation reste ici dans l’élément du même qu’elle intensifie par redoublement. En ce sens, elle est sa réflexion et représenter sera toujours se présenter représentant quelque chose. » [Louis Marin prend ici le cas de l’homme qui présente son passeport à la frontière, non seulement il se présente lui-même mais encore il présente sa présence légitime par le signe ou le titre qui autorise ou permet.]
« Premier effet du dispositif représentatif, premier pouvoir de la représentation : effet et pouvoir de présence au lieu de l’absence et de la mort ; deuxième effet, deuxième pouvoir : effet de sujet, c’est-à-dire pouvoir d’institution, d’autorisation et de légitimation comme résultante du fonctionnement réfléchi du dispositif sur lui-même » (...) « autrement dit, si la représentation non seulement reproduit en fait, mais encore en droit les conditions qui rendent possible sa reproduction, alors on comprend l’intérêt du pouvoir à se l’approprier. Représentation et pouvoir sont de même nature. »
d) Le « dispositif »
Louis Marin emploie à de nombreuses reprises le mot « dispositif » relativement au pouvoir.
« Première relation : l’institution du pouvoir s’approprie la représentation comme sienne. Il se donne des représentations, il produit ses représentations de langage et d’image » (...) « Deuxième relation : la représentation, le dispositif de la représentation produit son pouvoir, il se produit comme pouvoir. » (p.9).
Ce terme « dispositif » a de quoi éveiller notre curiosité. Dispositif : « ensemble de moyens disposés conformément à un plan » (Robert). Il y aurait donc un plan ? Oui il y a un plan pour le pouvoir ; nous savons que le pouvoir doit durer, il doit se perpétrer et pour cela s’inscrire dans les esprits, dans la psyché, mais il doit s’inscrire aussi dans l’espace, au sol, et ceci d’une certaine façon dans le but d’être vu ostensiblement.
Louis Marin : « la représentation, [non seulement] signifie la force dans le discours de la loi, [mais encore,] la représentation met la force en signes (...), signes de la force qui n’ont besoin que d’être vus pour que la force soit crue », in Le portrait du roi, Minuit, 1981, p.11. [C’est l’auteur qui souligne]
Il nous faut à présent abandonner la théorie du pouvoir pour la pratique du pouvoir et entrer dans la description du « dispositif » invoqué par LM, sa matérialité qui est aussi pouvoir en elle-même et par elle-même. Pour savoir comment le pouvoir institué s’incarne dans les représentations et se les approprie, comment le dispositif de représentation symbolique devient lui-même pouvoir, il nous faut chercher le lieu de tout cela. Car, qu’il s’agisse d’institution, qu’il s’agisse d’incarnation, qu’il s’agisse de représentation, tout cela qui sert le pouvoir, qui est pouvoir, a bien forme et figure, a bien lieu. Quel est donc ce lieu ?
III) ESPACES PUBLICS
a) Le lieu du pouvoir
Assurément un tel lieu ne peut être que visible de tous, appartenir à tous et à personne en particulier, c’est lui qui montre et est montré, c’est lui qui est sens et fait sens, qui institue en étant collectivement institué selon les thèses de Cornélius Castoriadis. Quel est donc ce lieu qui est le ciment, le vivre-ensemble de toute société et en contient toutes les valeurs symboliques ? Qui emporte la croyance en sorte qu’elle soit intériorisée par tous, au besoin la fait obligatoire par la force ou le droit, (nous le verrons) ? Qui porte la matérialité et l’incarnation du pouvoir et ses hiérarchies par des représentations symboliques, lesquelles à leur tour se produisent elles-mêmes comme pouvoir ?
Ce lieu existe, il a un nom et fut parfaitement institué, il se nomme l’espace public et c’est bien entre l’Athènes chère à Castoriadis et la Rome impériale qu’il fut institué pour la première fois dans le droit écrit : « Toute société institue à la fois son institution et la ‘‘légitimation’’ de celle-ci » (C. Castoriadis, CduL,VI. p.67) et si « instituer, c’est faire advenir à l’univers juridique » (Martine Rémond-Gouilloud, in L’homme, la nature et le droit (collectif), Bourgois, 1988, p.203), nous allons en effet trouver dans le droit l’existence légitime de cet espace public.
b) Lieu et légitimité
Selon le droit romain, toute les choses (res en latin) du monde étaient classées en trois catégories (nous simplifions ; voir sur ces questions Paul Frédéric Girard : Manuel élémentaire de droit romain, Paris Rousseau, 1918)
— les res propria, biens qui appartiennent en propre à quelqu’un,
— les res nullius (ou res communes), biens sans maître mais dont on peut user sans abuser, choses et fruits de la nature, air, eau, vent, etc. réputés à l’époque inépuisables.
— enfin, les res publicae, biens sans maître, mais essentiels au bon fonctionnement de la cité, institués, bâtis, établis à l’usage du peuple comme institution, pour son édification et en principe, placés sous son administration.
c) Res publicae
À l’évidence c’est la res publicae qui contient ce que nous cherchons, (notons au passage la fortune étymologique de cette locution, laquelle conduira à la formation du mot République). C’est sous cette catégorie du droit que les anciens classaient effectivement les éléments constitutifs de ce que nous nommons l’espace public, soit en clair : le pouvoir et son « dispositif ». Et ceci inclut l’ensemble des institutions matérialisées qui y contribuent, ainsi que tout l’appareil symbolique propre au pouvoir, son cérémoniel, ses représentations monumentales ou ritualisées, en un mot le dispositif évoqué par Louis Marin. Lieu institué collectivement, l’espace public est bien ce lieu visible de tous, qui appartient à tous et à personne en particulier, qui montre et est montré pour contenir toutes les valeurs symboliques, qui donc est sens et fait sens. Et si l’espace public est institué pour montrer le pouvoir, il montrera effectivement la loi gravée dans le marbre, nous en voulons pour exemple le Code Hammourabi, roi de Babylone, gravé sur une stèle de basalte vers 1780 avant J.-C. (découvert en 1902, ce monument est aujourd’hui au Louvre). Autre exemple fameux : les « XII tables » à l’origine du droit romain ; elles eurent moins de chance que le Code Hammourabi, rédigées vers 451/449 avant J.-C. (Ellul, 275), fondues dans le bronze — selon la tradition — et exposées à Rome sur le forum elles furent détruites ou emportées par les Gaulois lors du sac de la ville vers 390 av.J.-C. (Ellul, 263). Enfin et pour enfoncer le clou, je rappelle à votre mémoire l’article 124 et dernier de la Constitution de 1793 l’An I de la République : « La déclaration des Droits [de l’Homme et du Citoyen] et l’acte constitutionnel sont gravés sur des tables au sein du Corps législatif et dans les places publiques ».
Ainsi, de même que nous avons vu cette tautologie : La première Loi est de dire que la loi est première, nous en trouvons la contrepartie concernant l’espace public res publica : la loi fonde l’espace public qui fonde la loi à son tour, (la loi institue l’espace public, — le crée comme res publica, — comme catégorie majeure afin que ce dernier, à son tour, affichât ostensiblement la loi).
On ne plaisante pas avec la « publicité », prise dans son sens littéral : caractère de ce qui est public. Du reste, pour ceux qui ont l’intention de se marier bientôt, il est toujours obligatoire de publier les bans au moins quinze jours avant la cérémonie !
d) Trois Espaces publics
Bien sûr, cet espace public a évolué au fil des siècle, il s’est étendu à des « espaces » impensables aux hommes anciens. Nous pouvons en effet découper l’espace public en trois entités distinctes et superposées qui chacune apparaissent à un moment de notre histoire. Aucune d’entre elles ne vient remplacer l’autre mais le tout s’amplifie au contraire, ce qui revient à dire en somme, qu’à travers les différents états successifs de l’espace public le pouvoir s’est étendu. L’histoire de l’espace public se décompose donc, selon nous, en trois déploiements successifs : un premier espace public « tangible » auquel se superposera d’abord un espace public « papier », puis un espace public « écran ».
— L’espace public tangible. Nous retiendrons comme premier état de l’espace public celui où parviennent les sociétés dès lors qu’elles se sédentarisent tout en pratiquant l’élevage, la domestication et l’agriculture, soit le néolithique. Du néolithique jusqu’à l’invention de l’imprimerie dès la Renaissance, on peut considérer l’espace public comme unique : il est seul et n’est doublé d’aucun autre. Essentiellement traduit et matérialisé en volume, en relief, en dur, nous le nommons espace public tangible ; nous l’avons toujours sous nos yeux, augmenté de ce que les différentes époques historiques, leurs valeurs symboliques et leurs moyens techniques successifs y ont ajouté. Du point de vue de sa substance — de sa traduction physique —, cet espace public tangible, en relief, bâti, construit, et dont le monument est l’archétype, illustre et matérialise les valeurs symboliques qui assurent la cohésion de la société considérée, mais aussi les pouvoirs qui y réalisent là leur pleine puissance, que ce soit par la soumission volontaire ou la contrainte, par la croyance intériorisée ou l’étonnement provoqué. Cet espace public tangible se caractérise donc, principalement, par le « monumental ostentatoire ». Donnons quelques exemples du monumental en mélangeant ancien et moderne : temples, palais, statues des dieux ou des héros, arcs de triomphe, colonnades, cité, citadelle, remparts, fortins et casernes de même que tribunaux et palais de justice, cathédrales, arènes, stades, gymnases, théâtres, mairies, hôtels de ville, préfectures, conseils généraux, régionaux, sièges de grandes entreprises, de banques, de compagnies d’assurances, d’institutions internationales politiques ou culturelles, ONU, UNESCO, musées, fondations, ajoutons les monuments du génie civil : tour Eiffel, viaducs (de Millau), ponts, ports, gares, aéroports et autres technopoles et « nœuds intermodaux ». Tout cela est sur l’espace public, est édifié pour édifier. Nous évoquons là le bâti, mais le non-bâti lui-même peut être espace public tangible, d’une certaine façon « monumental » et chargé d’une forte symbolique par simple agencement perspectif de l’espace : pour Paris, le Champs de Mars menant à la tour Eiffel, les Champs-Élysées menant à l’arc de triomphe, ainsi chaque capitale aura sa Perspective Nevski.
— L’espace public papier. Il faut attendre l’arrivée de l’imprimerie et de la gravure (1450) pour voir surgir et se déployer, dans les quelques siècles qui suivirent cette remarquable invention, un second espace public — virtuel, fait de papier couvert de signes —, qui vient doubler le premier de façon suffisamment significative pour entraîner de profonds changements politiques et sociaux. Ce second espace que matérialisent livres et gravures abondamment multipliés est bien un nouvel espace public (nous renvoyons sur ce sujet au livre magistral de Jürgen Habermas : L’espace public, Payot, 1993) ; accessible à tous, il permet comme le premier, tangible, la mise en commun des valeurs symboliques nouvellement créées ainsi que de leurs représentations. Les conditions à réunir pour que ce changement s’opère furent d’ordre culturel autant qu’économique. Au point de vue culturel, ces changements ne purent trouver un terreau qu’à la condition qu’il soit fertile d’un nombre suffisant d’individualités se dégageant du commun par la puissance de la pensée et le besoin de savoir, d’auteurs et de lecteurs ; en tout cas d’individus pensant et se pensant, ayant d’une certaine façon conquis l’autonomos de la raison (ainsi que Castoriadis a pu le dire de l’Athènes démocratique). Enfin, c’est au cours de cette période qu’émerge un véritable pouvoir économique capable de rivaliser puis de supplanter les deux plus anciens (sacrum et imperium), il se manifeste par l’émergence de la puissance financière et industrielle à travers la bourgeoisie (banque, propriété foncière, manufactures, négoce). Ainsi donc, l’avènement du pouvoir économique, se fit simultanément à ce qu’il est convenu de nommer le pouvoir de l’opinion et de la raison, qui se formera en trois siècles : de l’invention de l’imprimerie jusqu’aux révolutions politiques et économiques de la fin du XVIIIe, en Europe et aux États-Unis. Ce qui le caractérise sera l’émergence de la bourgeoisie et plus largement d’une « société civile » porteuse d’une opinion capable de s’opposer d’abord au pouvoir religieux et politique, puis plus tard au pouvoir économique.
— Enfin, l’espace public écran. Ce n’est qu’au milieu du XIXe siècle que commence à se déployer le dernier-né des espaces publics, issu de l’enchaînement technique photographie-cinéma-télévision, c’est l’espace public virtuel « écran » auquel viendra s’adjoindre l’ordinateur, l’Internet et leurs dérivés. Comme pour le second espace public de papier il est virtuel, mais ici, la puissance économique décuplée sera totalement déterminante quant aux avancées et aux choix techniques réalisés afin que l’espace public écran impose définitivement sa domination sur les deux premiers. À l’instar des deux espaces publics précédents, il en possède les vertus : mise en commun des valeurs symboliques nouvellement créées ainsi que de leurs représentations établissant le pouvoir. Cet espace public de l’écran est constitué exclusivement d’un flux constant, permanent et mondialement répandu. Ayant réalisé techniquement la synthèse de l’image, du mouvement, de la parole, du son et musique, en une seule médiation purement visuelle, c’est l’omniprésence du visuel et sa consommation massive et passive qui le caractérise, ce pourquoi il n’est même plus nécessaire d’y posséder parfaitement les codes de la lecture (contrairement au précédent), et il s’accommode fort bien d’un certain niveau d’illettrisme.
e) Durée et visibilité, le renversement
L’espace public sous ses trois formes est le lieu du pouvoir, pour autant, la pleine légitimité ne lui sera acquise que s’il dure sur l’espace public, d’une part et d’autre part, que s’il s’y voit, ce que nous traduisons par le monumental et l’ostentatoire.
Le monumental sera la constante temps et durée.
Aloïs Riegl : « par monument, au sens le plus ancien et véritablement originel du terme, on entend une œuvre créée de la main de l’homme et édifiée dans le but précis de conserver toujours présent et vivant dans la conscience des générations futures le souvenir de telle action ou telle destinée », Le culte moderne des monuments [1903], Seuil, 1984, p.35.
L’ostentatoire sera la constante visibilité et publicité (caractère de ce qui est public).
Carl Schmitt : « La lutte pour la représentation est toujours une lutte pour le pouvoir politique » or « il n’y a de représentation que s’il y a publicité » in Verfassungslehre, Berlin, 1957, 3°éd. p.212, [cité par Julien Freund in « L’essence du politique », Paris, Sirey, 1965, p.331 et 329].
Ainsi le pouvoir pour tenir debout, pour avoir une matérialité sur l’espace public, s’appuie sur ces deux piliers que sont la durée (temps) et la visibilité (espace), chacun multipliant les effets de l’autre. Sa légitimité, outre le droit, ne s’instituant pleinement que par ces deux voies, or seul l’espace public garantit durée et visibilité. Ainsi, lorsqu’une quelconque valeur symbolique — quelle qu’elle soit — devient ostentatoire sur l’espace public, elle participe du pouvoir : l’homme pour ces valeurs auxquelles il croit profondément peut aller jusqu’à sacrifier ou offrir sa vie, ses biens et les siens : honneur, église, démocratie, patrie, nation, etc.
Mais par un renversement extraordinaire il se trouve que des « valeurs » d’une autre espèce et des plus triviales soient promues à leur tour sur l’espace-public-pouvoir : confort, mode, vitesse, progrès, développement, croissance... C’est ici que s’opère le renversement : si les deux composantes des pouvoirs matérialisés — durée et visibilité —, furent en équilibre relatif sur les espaces publics « tangible » et « papier » pour construire les pouvoirs au travers des institutions, il n’en va pas de même sur le dernier-né des espaces publics, celui de l’écran.
f) Faire écran
En effet, ce dernier opère — par la toute-puissance économique et financière entraînant une maîtrise scientifique et technique encore inconnue —, un renversement quant à l’essence du pouvoir et, partant, de toute légitimité sur l’espace public. Là où autrefois il fallait concilier durée (temps) et visibilité (espace) pour s’affirmer comme pouvoir au travers les institutions, il suffira désormais à la puissance économique de construire de toutes pièces et rapidement, — c’est-à-dire sans le concours du temps —, un espace public fait de pure médiation visuelle, pour accéder au pouvoir et faire passer pour légitime ce qui ne l’était pas, c’est-à-dire ses propres valeurs, celles de l’économie comme fin en soi. Le temps lui-même, comme durée, comme écoulement, reste impossible à manipuler, à acheter, par contre l’espace visible, est plus vénal ; il suffira donc à la puissance de l’argent de fabriquer ce nouvel espace public, que nous nommons « écran », à sa mesure et dans le même temps d’acheter, envahir ou corrompre tous les espaces publics déjà-là (tangible et papier) pour asseoir définitivement sa légitimité et devenir pouvoir absolu. Ce renversement est total (et totalitaire) en ce que — outre l’espace écran, son pur produit — se trouvent ainsi corrompus l’espace public premier et tangible mais également l’espace public papier. Quant à l’espace privé, s’il était autrefois un rempart et peu ou prou un refuge contre les pouvoirs, c’est aujourd’hui se distinguer que de posséder chez soi, en s’endettant, le plus d’écrans et les plus grands.
IV) L’Infini Saturé
a) arraisonnement de l’espace public
Nous nommons Infini Saturé l’arraisonnement de la totalité des espaces publics par le pouvoir — devenu unique — de l’économie mondialisée ; ce qui confirme au mieux sa parfaite réalisation est l’arraisonnent, dans le même mouvement, de tout espace privé. Comment l’économie est-elle devenue un pouvoir unique ? La raison économique comme valeur centrale des sociétés occidentales est un phénomène récent, qui n’a pas plus de cinq siècles. Cette période fut employée à faire converger, principalement sur la vieille Europe colonialiste, les richesses planétaires, tant comme stock (matières premières, énergies fossiles) que comme flux (force de travail par l’esclavage, le sous-salariat, la prolétarisation). En outre, les richesses ne furent pas seulement employées à être consommées sur-le-champ, mais par le truchement des sciences et techniques elles furent utilisées à fabriquer de nouvelles richesses et nouveaux biens ; plus encore, comme l’avait déjà vu Marx, à produire celui à qui elles étaient destinées : le client, avec comme valeurs centrales progrès et technique ainsi que leurs dérivés plus triviaux : le développement, l’emploi, la consommation, la nouveauté, la mode, etc. La production du client fut la tâche que s’assigna l’espace public écran et sa réalisation achevée est l’Infini Saturé.
Le pouvoir de l’opinion, né de l’espace public papier a pu s’opposer (un temps) aux trois autres, religieux, politique, économique — lesquels y répondirent par toutes sortes de dispositions et manœuvres : interdictions, lois et décrets, de la mise à l’index à la répression armée en passant par la censure et la corruption —, mais le pouvoir économique, depuis la naissance des banques, des billets à ordre, de la monnaie de papier, du crédit, ne cessera de grandir et de s’imposer au fil des siècles ; se rendant indispensable à tous, il l’emporte finalement sur tous les pouvoirs et plus gravement sur la raison et le pouvoir d’opinion.
Alors que le premier espace public tangible tenta d’édifier, le second, de papier, se risqua à éduquer ; quant au troisième, par l’écran il parvient à divertir. L’arraisonnement sera réalisé dès lors que les deux premiers espaces publics auront été annexés et se seront soumis au principe du troisième : édifier en divertissant, éduquer en divertissant. En outre le troisième espace public possède sur les deux autres l’absolue supériorité de pénétrer efficacement l’ensemble des espaces privés sans qu’il soit fait appel au vouloir, mais à la simple passivité, qui plus est : divertissante. Nous sommes ainsi spoliés de notre espace privé et de notre espace public — res publica — propriété commune, fondement de la République, qui véhiculait une grande diversité de valeurs, de croyances et de savoirs, s’opposant les uns les autres, au profit d’un espace public dont les trois formes sont arraisonnées par l’unique pouvoir économique nous imposant les seules valeurs, croyances et savoirs qui lui sont favorables.
b) le ravissement
C’est là proprement le « ravissement », le rapt du savoir et du croire, des consciences et du désir dans l’heureux et perpétuel enchantement. S’exposer au pouvoir, se manifestant sur l’espace public tangible et premier, demandait un effort, demandait une participation : il fallait quitter son espace privé pour s’y soumettre ; l’espace virtuel papier impliquait, lui, discernement et choix individuels, et de plus la possession de codes comme la lecture, ainsi que plus ou moins la faculté de raisonner. Inversement, l’Infini Saturé ne demande ni effort, ni participation active, ni discernement, ni raisonnement. S’il exige de nous un effort c’est celui qu’il faut déployer pour lui échapper. « Il ne reste plus, selon Serge Latouche, (Le pari de la décroissance, Fayard, 2006, p.209 et 276) que la possibilité d’entrer en dissidence ». Mais comment entrer en dissidence alors que le ravissement est double : une première fois parce qu’il a capté toutes les valeurs ; une seconde fois en ce qu’il nous captive par la séduction et l’apparente innocence du divertissement ?
c) L’autonomos
L’espace public, s’il n’est pas une cause première au sens des philosophes, l’est sur le terrain des valeurs qui déterminent nos comportements collectifs, son arraisonnement nous permet d’expliquer — non d’excuser — bon nombre d’aveuglements, illusions et aberrations touchant à nos sociétés et à leurs égarements. Sous ses trois formes, il est celui qui montre, qui enseigne à tous et qui enseigne à celui qui enseigne. Il est bien peu de choses que nous sachions, auxquelles nous croyons, que nous enseignons, qui ne viennent pas de lui (quand bien même les pensons-nous nôtres et issues de l’espace privé). C’est à des questions telles que « pourquoi nous est-il impossible de changer de cap ? », « pourquoi ne maîtrisons-nous pas la technique » (ou le progrès, le développement, la croissance, etc.), ou bien « comment savons-nous ce que nous savons ? », (ou croyons-nous ce que nous croyons) que répond la notion d’Infini Saturé. C’est l’Infini Saturé Grand Professeur, infini parce rien ne peut entraver le développement ni borner les limites du virtuel ; saturé pour être une sorte de bouteille molle qui n’est emplie que de ce que l’économie marchande y met et grand professeur parce que sous son règne, le pouvoir économique ayant arraisonné tous les espaces publics devient, dès lors, maître de la visibilité, de l’ostentatoire, de la publicité, maître du croire, du savoir, mais encore du désir. Où que nos yeux se posent, quoi que nos oreilles entendent et nos mains saisissent, c’est lui qui impose les valeurs — ses valeurs —, au détriment de toutes les autres. Quid, en ce cas, de la « visibilité » dès lors qu’acquérir une visibilité sur l’espace public au siècle de l’Infini Saturé ne sera possible qu’à la condition que nous puissions nous hausser à la puissance de ses nouveaux producteurs ; y parviendrions-nous que nous n’aurions fait que nous soumettre aux règles que ces nouveaux producteurs ont édictées ; un exemple à méditer sera celui de l’hélicologiste Nicolas Hulot, pur produit médiatique.
Je n’ai certes pas cherché à désespérer pas plus qu’à faire espérer. Mon intention était de désigner clairement l’adversaire, non point de le dire invincible. Mais il est certain qu’ignorer ou encore sous-estimer la puissance de l’Infini Saturé conduirait à l’échec. Des interstices existent encore sur l’Infini Saturé, à nous de les occuper, de les multiplier, de recréer un espace public vrai — res publica — libre et non affermé, garantissant seul la circulation de tous les savoirs. Collectivement, efforçons-nous de (re)créer les conditions de l’autonomos cher à Castoriadis, « les hommes assemblés se donnant à eux-mêmes leurs propres lois... », « sachant qu’ils le font », ajoutait-il, (si le philosophe était encore en vie il nous démontrerait assurément que nous avons régressé dans l’hétéronomos pré-athénien) ; efforçons-nous donc de recréer les conditions de l’assemblée des hommes, ce sont aussi celles du vivre-ensemble.
V) CONCLUSION : Laver le pont du bateau qui coule ?
Pourquoi ai-je insisté pour vous infliger cette corvée qui a consisté pendant quelques heures à en passer par toutes ces choses compliquées ? (Entre nous, je vous remercie de m’avoir permis de le faire et de votre attention !) Et si ces choses sont compliquées, ce n’est pas de mon vouloir, je les ai trouvées telles et même encore plus compliquées, mon seul mérite et quelque part mon risque a été de les avoir simplifiées à l’extrême. Ma question première à été : faut-il laver le pont du bateau qui coule ? Autrement dit, avant de parler de décroissance ne fallait-il pas se questionner sérieusement sur ce qui nous a conduit au bord du gouffre ?
La plupart des réponses généralement invoquées sont : la croissance, le progrès, le capitalisme, l’économie folle, etc., mais en ce cas qu’est-ce qui fait croître la croissance ? progresser le progrès ? qu’est-ce qui rend fou le capitalisme et l’économie ?
J’ai donc cherché à vous montrer combien ces réponses sont hétéronomiques et qu’il fallait remonter plus haut en amont où se trouvent ces choses si compliquées touchant aux valeurs symboliques, aux pouvoirs et à leurs représentations.
Que faire à présent pour nous protéger de ces pouvoirs ? Dans un premier temps il fallait que la carte en soit dressée, que la généalogie en soit établie, bien sûr, — nous pouvons toujours discuter de cela et l’améliorer ensemble, ce serait souhaitable — ; mais quoi qu’il en soit, une conférence ne sera jamais qu’une conférence, pour aller plus loin il faudra entreprendre un véritable travail collectif de « décolonisation de l’imaginaire », c’est le mot de Castoriadis et Serge Latouche en a fait le titre d’un de ses livres. Au niveau de colonisation où en sont nos imaginaires, c’est effectivement un véritable travail qui doit être entrepris collectivement et cela beaucoup d’entre nous n’en aurons ni le temps ni la volonté, ce qui se conçoit. Outre cela, ceux qui décideront de l’entreprendre ne devront pas se couper de ceux qui sont simplement curieux de la chose, c’est donc — probablement — vers une succession de cercles concentriques et poreux qu’il faudra se diriger.
Un second aspect de la tâche à entreprendre sera : quelle est la forme de pouvoir, de « nomos » que nous entendons nous donner au sein de cette « assemblée des hommes », pour aborder le problème de la décroissance (en clair comment gérer consciemment cette forme relative et interne de pouvoir que créée tout institution), c’est le pouvoir relatif que j’évoquais au début de cet entretien.
Penser la décroissance avec Castoriadis
Exposé de Michel Guet, le 6 mars 2007
Quelques mots avant de s’intéresser à Castoriadis.
Je voudrais d’abord attirer votre attention sur nous-mêmes, sur cette assemblée !
Pourquoi sommes-nous réunis ce soir, et quel est notre plus petit commun dénominateur, ici et maintenant ?
Eh bien il me semble que c’est un mot, rien qu’un mot : « DÉCROISSANCE ».
Nous sommes donc réunis ici autour d’un mot dont nous ne savons pas exactement quel est son contenu...
Bien sûr ce n’est pas tout a fait vrai, chacun de nous a une petite idée de ce que « décroissance » veut dire, et en réalité, nous cherchons seulement à savoir si le voisin pense comme nous, s’il met sous le mot « décroissance » la même chose que nous. Il y a donc un doute, un questionnement. Au passage, si le voisin en sait plus que nous, tant mieux, nous sommes là pour apprendre, c’est le contrat : s’informer, mettre en commun nos savoirs, nos expériences.
Eh bien ça, c’est une situation peu courante, une situation rare, je dirais même très rare.
Parce qu’il y a, contrairement à nous, à cette heure même, dans cette ville un tas de gens réunis autour d’autres mots dont ils savent parfaitement ce qu’ils veulent dire, (surtout en ce moment), par exemple « socialisme », « communisme », « libéralisme », ou « économie », « développement », « croissance » etc. Ces mots sont connus, ils ont une histoire, on sait à peu près ce qu’il contiennent, ils sont déjà INSTITUÉS.
Mais nous, nous sommes d’incroyables aventuriers, nous prenons un risque fou, celui d’aller vers quelque chose dont nous ne connaissons pas encore vraiment le contenu. On pourrait appeler cela une assemblée « ouverte », enfin, pour l’instant, elle est ouverte...
La décroissance n’est pas encore tout à fait instituée. Et nous nous sommes réunis pour faire cela : instituer la décroissance, lui donner du contenu, ce que nous pensons en notre âme et conscience être la décroissance.
Voilà pourquoi je souhaitais attirer votre attention sur nous-mêmes et sur cette situation peu courante qui consiste à instituer.
(Définition de Jacques Ellul, Histoire des institutions de l’antiquité, 1961, p.V.)
Est « institution » tout ce qui est volontairement organisé par une société donnée.
Nous sommes bien « une société donnée ». Nous cherchons bien à organiser volontairement quelque chose ; ce quelque chose ne l’est pas encore tout à fait, sinon nous n’aurions pas à faire ce travail. Ce quelque chose, se nomme « Décroissance », c’est la seule chose dont nous soyons sûrs.
Or Castoriadis est le penseur, le théoricien de l’institution, du phénomène INSTITUTION.
Hélas, certains vont être déçus ce soir : nous n’allons pas parler de décroissance, nous allons nous placer en amont (si vous le voulez bien) de la décroissance. Nous n’allons pas bâtir la maison tout de suite et avons jugé pertinent de poser au préalable la question :
« existe-t-il des outils qui nous permettront de bâtir solidement la maison ? »
SOLIDEMENT, sinon elle s’écroulerait bien vite.
Si ces outils n’existaient pas, il nous faudrait les inventer, mais s’ils existent autant les utiliser.
Petit rappel. Lors de la dernière réunion, il fut question de Guy Debord et de la « Société du spectacle » et j’ai osé dire qu’il valait mieux commencer par Castoriadis et finir par Guy Debord que l’inverse. Je savais pour les avoir comparés que les outils que Castoriadis met à notre disposition permettent effectivement de comprendre le Situationnisme, mais le Situationnisme ne permet pas de comprendre le phénomène INSTITUTION lequel se trouve en amont, puisque « société » et « spectacle » sont eux-mêmes des institutions. (Mais vous verrez tout de suite qu’il y a eu un lien entre Castoriadis et Debord)
Ce que j’ai fait lors de la dernière assemblée a consisté à répondre à une question qui ne m’était pas posé ! « Pour bâtir la maison, les outils existent-t-ils ? »
J’ai dit : oui il existe des outils chez Castoriadis !
(peut-être avez-vous compris CASTORAMA ?)
Pour cela on m’a puni. On m’a pris au mot. Toi qui l’ouvres, la prochaine fois tu t’y colles !
C’est toujours celui qui dit qui y est.
Castoriadis ayant passé au moins trente ans de sa vie à penser l’institution, mérite que nous lui accordions une petite soirée et peut-être plusieurs, nous déciderons...
Il est vrai aussi que Castoriadis n’a jamais directement parlé de « décroissance », entre 1960 et 1970 ce mot n’était connu que de rares individus.
Mais Castoriadis a fait autre chose de tout aussi utile :
— il a condamné et démontré la folie de la « pseudo-maîtrise » « pseudo-scientifique » de la nature, en laquelle il voyait le fondement même du capitalisme moderne, à peu près à la même époque que Jacques Ellul.
— il a condamné le « tout économique » un peu avant Georgescu-Roegen (qui lui, est bien le père de la décroissance)
tout ceci depuis les années 60 (Castoriadis était bien placé pour le faire : économiste, il fut responsable d’un département statistiques à l’OCDE pendant plus de vingt ans),
Cornélius Castoriadis — 1922 / 1997
sources : — C.C. « Une société à la dérive », seuil, 2005
— Roland Biard : « Dictionnaire de l’extrême-gauche de 1945 à nos jours » Belfond 1978
abréviation : — CduL (C.Castoriadis : Les Carrefours du Labyrinthe vol I à VI), toutes les citation tirées de
CC sont entre guillemets
Études de philosophie, d’économie et de droit à Athènes
1937 : adhère aux jeunesses communistes - Athènes — 1941 : cofondateur du groupe clandestin Nea Epochi, visant à réformer de l’intérieur le PC grec — 1942 : adhère au trotskisme.
1945 décembre : CC arrive en France
1949-1965 : cofondateur de « Socialisme ou Barbarie » (revue « mythique », 40 numéros en 16 ans), avec Claude Lefort, puis Edgar Morin, Jean-François Lyotard, etc.
« SouB est né à partir d’une tendance qui s’était constituée, l’été 46, au sein du Parti Communiste Internationaliste (PCI : 700 militants en France), parti trotskiste français » (CC p.27 et ss.) « les premiers documents de cette tendance ont été diffusés à partir d’août 46 » (CC p.29). Mais ce n’est qu’à partir de la scission de 1948 que se forme « un groupe du même nom. SouB évolue rapidement et rompt avec le trotskisme » (Biard, 346)
[SouB est alors très proche du conseillisme ouvrier — avec l’Internationale Situationniste plus tard. En juillet 60 une brochure est rédigée et publiée conjointement par P. Canjuers (Daniel Blanchard, de SouB.) et Guy Debord (I.S.) (Gonzalves, 32), titre : « Préliminaires pour une définition de l’unité du programme révolutionnaire ».
Qu’est-ce que le conseillisme « Le Conseillisme est l’une des expression les plus pures d’un marxisme débarrassé de l’autoritarisme léniniste » (Biard, 117)
« Deux scission priveront SouB d’un certain nombre de ses rédacteurs : Claude Lefort et certains militants de la ’’gauche’’ du groupe vont rejoindre Informations et Liaisons ouvrières et en 1959. Lyotard et certains militant formeront avec d’autres groupes conseillistes le groupe Pouvoir Ouvrier » (Biard, 348)
1948-1970 : économiste (à partir de 1960 — création de l’OCDE — où il est nommé chef des Études Nationales, puis en 1968 : directeur à la Direction des Études de croissance, des statistiques et des comptes nationaux)
1974-1976 : enseigne l’économie à la faculté de Nanterre
1972-1975 : collabore à « Textures » avec Marcel Gaucher, Claude Lefort, etc.
1977-1980 : Collabore à « Libre, politique, anthropologie, philosophie » (Claude Lefort, Pierre Clastre, Miguel Abensour, Marcel Gaucher, Alfred Adler, Maurice Luciani, Krzysztof Pomian, Pierre Manent, Simone Debout, Jacques Baynac, Marshall Sahlins, Louis Dumont).
1973-1997 : psychanalyste (rallié au Quatrième Groupe psychanalytique), Castoriadis sera le compagnon de Piera Aulagnier
1980-1995 : Directeur d’études et séminaires à l’EHESS
CC décède en 1997
I Trois raisons de s’intéresser à C.C.
1) individu singulier
— son engagement de militant, sa pratique des groupes (proche du conseillisme), son parcours, son oeuvre surtout, qui se déploie sur deux axes :
a) sciences sociales : histoire, philo, économie, droit, théories politiques
b) sciences de l’homme : psychologie, psychanalyse, soma, psyché
deux axes que distinguait bien CC. « C’est une erreur de psychanalyste de vouloir déduire la société du fonctionnement psychique, et l’erreur symétrique du sociologue de ne voir dans la psyché que le produit de la société et de la socialisation » CC. C.du L. VI p.217
2) J’ai déjà parlé de sa critique de l’économique, mais il manifesta un réel intérêt pour l’environnement et les mouvements écologistes, en effet les marxistes qui n’ont pas méprisé les problèmes environnementaux — sinon raillé l’écologie et moqué la croissance zéro — se comptent sur les doigts d’une main : C.C., André Gorz, et puis qui ? (François Partant, Yvan Illich, Geogescu-Roegen et Ellul, ne sont pas des « marxistes » !)
3) enfin pour les outils qu’il nous apporte
nous ne traiterons pas des outils concernant les sc. de l’H. (psyché/soma), issus de la tradition freudienne
— monade psychique > phase triadique > socialisation
— « clôture », « magma », « chaos », « sans fond »
— plaisir de représentation qui l’emporte sur le plaisir d’organe
CC. C.du L. VI p.122
mais des outils relatifs au social qui sont d’une part très originaux et d’autre part, des plus utiles pour ce qui nous intéresse, principalement :
a) l’institution(1)-imaginaire(2)-sociale(3) Titre de son premier ouvrage important, « L’institution imaginaire de la société » 1975
b) le couple hétéronomie/autonomie
(nous laisserons de côté)
c) l’ensembliste-identitaire, « ensidique »
d) Validité de fait, validité de droit
e) Le social-historique
II L’institution
L’institution est un concept absolument capital et fondateur
Qu’est-ce que l’institution :
« Pour commencer [par institution] nous n’entendons pas, bien entendu, la sécurité sociale ou un dispensaire d’hygiène mentale [ni la cancoillotte ou la Transjurassienne, institutions francomtoises]. Nous entendons d’abord et surtout le langage, la religion, le pouvoir, nous entendons ce qu’est l’individu dans une société donnée » C.du L. VI p.120 « l’ensemble des outils, du langage, des procédures de faire, des normes et des valeurs (...) tout ce qui, avec ou sans sanction formelle, impose des façons d’agir ou de penser ». Une Société à la dérive, p.67.
Imaginaire et sociale
« Pourquoi ’’imaginaires’’ ? Parce qu’elles ne sont ni rationnelles (on ne peut pas les ’’construire logiquement’’), ni réelles (on ne peut pas les dériver des choses) » (...)
« sociales, parce qu’elles ne sont rien si elles ne sont pas partagées, participées par ce collectif anonyme, impersonnel, qui est aussi chaque fois la société ». Une Société à la dérive, p.68.
L’Institution imaginaire sociale selon C.C. se déploie dans deux directions opposées : « arithmétique » et « mythe ».
Côté imaginaire arithmétique : (c’est l’ensembliste-identitaire), « l’institution de la société opère (agit et pense) selon les mêmes schèmes qui sont actifs dans la théorie logico-mathématique des ensembles : éléments, classes, propriétés, relations, tout cela étant posé comme bien distinct et bien défini. » « Le schème opérateur fondamental ici est le schème de la déterminité, l’existence c’est la déterminité » [en gros le monde physique]
Côté imaginaire mythe, l’existence c’est la signification. « Les significations peuvent être repérées, mais elles ne sont pas pleinement déterminées. Elles sont indéfiniment reliées les unes aux autres moyennant un mode de relation qui est le renvoi » Une Société à la dérive, p.73.
III Comment agit et opère l’institution ?
1) l’Institution première de la société est la société elle-même
« L’institution première de la société est le fait que la société se crée elle-même comme société et se crée chaque fois en se donnant des institutions animées par des significations imaginaires sociales spécifiques à la société considérée (...). Et cette institution première s’articule et s’instrumente dans des institutions secondes (...) transhistoriques, (langage, individu, famille...) ; et des institutions secondes spécifiques à des sociétés données (la polis grecque, l’entreprise capitaliste) » C.du L. VI p.124
Pour le présent, nous pouvons ajouter comme institutions spécifiques, nation, patrie, mais encore progrès, développement, croissance et... décroissance.
Par quoi la société s’institue-t-elle d’abord : par le langage
« Il y a chaque fois institution de la réalité et de la rationalité par la société considérée. L’illustration la plus immédiate est fournie par le langage. À la fois porteur et instrument essentiel de l’organisation du monde — du monde « naturel », social, des linéaments rationnels de toute réalité en général —, le langage est historiquement institué, et chaque fois institué comme langage différent. Il n’existe pas de langage en général, de langage pur (...) Ce qui est commun à tous les langages (...) : le pouvoir de signifier, le faire-être d’un monde de significations. » Une sté à la dérive, p.141
[du langage dériveront toutes les institutions, puisque le langage produit le sens, bien sûr]
2) L’institution est donc « sens », elle produit le sens pour tous
« L’institution fournit donc, désormais, le ’’sens’’ aux individus socialisés ; mais elle fournit aussi les moyens de faire être ce sens pour eux-mêmes, et elle fait cela en restaurant au niveau social une logique instrumentale ou fonctionnelle, qui existait sans doute, d’une autre manière au niveau animal mais qui a été cassée chez l’homme par le développement sans frein de l’imagination. » C.du L. VI p.124
En clair les institutions et significations imaginaires sociales chez Castoriadis sont ce qu’il est communément admis de nommer les valeurs symboliques.
Qu’est-ce qu’une valeur « symbolique » ?
Toute société humaine se donne, se créée, institue des valeurs, lesquelles ne sont pas strictement nécessaires à sa survie matérielle, pour cela elles sont dites « symboliques ».
Exemple : le pain est nécessaire à la survie matérielle de la société, mais l’hostie non. (Ceci dit, rien en vous empêche de manger un kilo d’hosties et si elles sont bénies, cent grammes suffiront.)
L’hostie est bien investie d’une valeur symbolique, transcendante, celle que lui confère la religion, la plus universelle des institutions imaginaires sociales.
De là découle qu’une valeur est tout simplement une chose à laquelle « on croit » dur comme fer ; à la fois faite pour être crue et symétriquement « valeur » parce que crue. Cette redondance est précisément le fait de l’INSTITUTION.
Les significations imaginaires sociales ou valeurs symboliques font sens pour chaque société et chaque individu au sein de cette société, et elles sont éminemment opératoires : on peut aller à la guerre pour « Dieu », pour la « patrie », pour la « nation », valeurs symboliques totalement abstraites, mais d’une formidable puissance.
On peut aussi dépenser sa vie à la gagner pour obéir à la mode, aller vite, avoir le confort, consommer du loisir, communiquer instantanément au monde entier, etc. Mais que sont mode, vitesse, confort, loisirs, communiquer ? sinon et avant tout des valeurs symboliques qui avec l’avènement de la société de consommation cachent dans leurs bagages bon nombre de « marchandises »... CC nommait cela des « imperçus immanents » CduL IV p.116 : « Personne n’a jamais vu une marchandise : on voit une voiture, un kilo de bananes, un mètre de tissu. C’est la signification imaginaire sociale marchandise qui fait fonctionner ces objets comme ils fonctionnent dans une société marchande » De la même façon, personne n’a jamais vu Dieu, mais c’est la signification imaginaire Dieu qui fait fonctionner l’hostie comme elle fonctionne dans une société religieuse.
Mais il y a plus grave que mourir à vingt ans au volant de sa bagnole pour aller vite, ou mourir d’anorexie pour être mince et passer à Star Académie, on peut aussi être torturé par l’Inquisition, avec la bénédiction du pape, pour avoir blasphémé ou être fusillé en toute légalité pour avoir déserté. Ce qui nous conduit aux ultimes développements du phénomène « institution » qui seront LA LOI d’une part et d’autre part LE POUVOIR.
IV La loi
1) L’institution s’autolégitime dans la Loi, dans le Droit
C.du L. VI p.67
« Toute société institue à la fois son institution et la ’’légitimation’’ de celle-ci »
Martine Rémond-Gouilloud, in « L’homme, la nature et le droit ». Bourgois, 1988, p.203
« Instituer, c’est faire advenir à l’univers juridique ».
La loi est une institution majeure destinée essentiellement à légitimer l’institution globale de la société, procès parfaitement tautologique et circulaire qu’illustre cet axiome fondamental du droit, cette Loi première de toute les Lois : « nul n’est censé ignorer la Loi ».
En nous instituant comme société, nous nous donnons des lois, et la première d’entre elle sera « nul n’est censé ignorer la Loi »,
ainsi la première loi est de dire que la loi est première.
Elle est fondatrice de ce « nous ». En effet ignorer la loi c’est ne plus faire partie des nôtres, c’est ne plus faire partie de la société, c’est s’en exclure d’office, c’est aussi ne plus accepter le contrat social (Jean-Jacques Rousseau), le vivre-ensemble (Hannah Arendt), c’est encore ne plus parler le même langage.
2) Mais, d’où vient la LOI ? Hétéronomos - Autonomos.
Ici CC distingue deux formes de LOIS (le nomos) : celle qui vient d’ailleurs et celle que se donne les hommes assemblés, c’est le couple « hétéronomos/autonomos ».
a) L’Hétéronomos : la Loi vient d’ailleurs, elle est inquestionnable. Le sens est pré-donné.
Pour imposer sa loi, l’institution use selon CC de trois moyens, le premier est de fabriquer psychiquement le sujet de telle sorte qu’il ne puisse questionner.
« J’ai défini l’hétéronomie comme le fait de penser et d’agir comme l’institution et le milieu l’imposent (ouvertement ou de façon souterraine). » CduL VI, p.109 « Car dans une société pré-démocratique, pré-philosophique, la possibilité de mettre en cause et en question l’institution n’existe tout simplement pas » (...) « Personne ne peut affirmer des idées, un vouloir, un désir s’opposant à l’ordre institué, et cela non pas parce qu’il subirait des sanctions, mais parce qu’il est, anthropologiquement, fabriqué de telle sorte, il a intériorisé à tel point l’institution de la société qu’il ne dispose pas des moyens psychiques et mentaux pour mettre en cause cette institution. » CduL VI, p.118. Mais, il faut préciser que, pour une large part, il ne peut en être autrement : « Les bipèdes nouveaux-nés ne deviennent des individus sociaux qu’en intériorisant les institutions sociales existantes. » CduL VI, p.133
Secondement, si d’aventure l’homme parvient à questionner l’institution, celle-ci invoquera alors la nature extra-sociale de la loi :
« J’appelle société hétéronome une société où le nomos, la loi, l’institution est donné par quelqu’un d’autre — heteros — . (...) Dans l’écrasante majorité des cas, la création de cette institution est imputée à une instance extra-sociale, ou en tout cas échappant au pouvoir et à l’agir des humains vivants. (...) Comment pouvez-vous dire que la loi donnée par Dieu est injuste, lorsque justice n’est rien d’autre qu’un des nom de Dieu ? Mais cette source peut être évidemment autre que Dieu : elle peut être les dieux, les héros fondateurs, les ancêtres... » CduL IV p.161
Enfin troisième ruse : la société instituée dispose de toutes les réponses déjà prêtes pour toutes les questions. C’est ce que précise CC en disant que dans les sociétés hétéronomes, les significations sont closes sur elles-mêmes :
« Aucune question qui pourrait être posée dans ce système, dans ce magma de signification, n’est privée de réponse dans ce même magma. La loi des Ancêtres a réponse à tout, la Torah a réponse à tout, le Coran [et la Bible] de même. » CduL IV p.162
Ainsi dans la société hétéronome selon CC, il est pratiquement impossible d’échapper au nomos, bien que la loi soit en réalité une création des hommes et une institution imaginaire, cela ne doit pas être su, ne doit pas être dit afin que la loi ne puisse être remise en question. L’institution façonne psychiquement l’homme pour que la loi intangible soit sa seconde nature. Si le doute l’atteint, l’institution dira que la loi vient d’ailleurs et qu’elle est sacrée. Si par extraordinaire, l’homme persistait à questionner, alors la loi instituée dispose de toutes les réponses déjà prêtes.
Quel est le but de l’institution ? Essentiellement perdurer : « Chaque institution de la société vise à se perpétuer. En général elle réussit à créer les moyens d’y parvenir (...). » CduL VI, p.132
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Nous sommes près de la fin de cet exposé et je voudrai ouvrir une parenthèse pour dire que trois dangers nous guettent (comme ils guettent toutes les assemblées des hommes)
Premier danger : « ne pas vouloir penser » — deuxième danger : « ne pas penser, mais s’exprimer » — troisième danger : « ne pas penser que c’est aujourd’hui ».
Voyons ces dangers un à un
1 — Ne pas penser, ne pas vouloir penser. Objection courante : « c’est trop intello, trop compliqué, kes tu va chercher là, on veut du concret, de l’action, on veut du fun... »
À cela, un seule réponse adressée à celui qui ne veux pas vouloir penser : il n’y a pas d’autre alternative que penser ou être pensé. S’il en est qui préfèrent que les autres pensent pour eux, ça les regarde, nous ne pouvons strictement rien y faire.
2 — Ne pas penser mais « s’exprimer ». C’est la posture artiste que je vise ici, non pas l’art, l’artiste présentement est éduqué à s’exprimer. Or, s’exprimer n’est pas penser, Sartre disait « penser, c’est penser contre soi », et s’exprimer c’est parler de soi, c’est exposer son moi, c’est exprimer son ego.
3 — Ne pas penser que c’est aujourd’hui que cela se passe. Quand Castoriadis parle d’hétéronomie, vous pourriez m’objecter que nous sommes là bien loin des problèmes quotidiens, bien loin du présent, bien loin de croissance et décroissance.
Vous vous tromperiez grandement à penser ainsi, prêtez attention aux discours de nos élites, de nos élus, de l’idéologie publicitaire et communicationnelle : nous en sommes bel et bien revenus à une société hétéronomique (si tant est que nous ne l’avions jamais quittée !).
C’est la croissance qui va nous sortir du chômage !
C’est la consommation qui relancera l’économie !
C’est l’économie mondialisée qui vaincra la misère dans le monde !
C’est la technique qui va résoudre le problème du dérèglement climatique !
C’est le progrès qui va nous inventer une énergie éternelle et gratuite !
C’est le développement durable qui va résoudre les problèmes environnementaux !
Croissance « illimitée », consommation « salutaire », économie « mondialisée », technique « infaillible », progrès « éternel », développement « durable », tout cela est INQUESTIONNABLE. Toutes ces valeurs symboliques, ces significations imaginaires sont des instances extra-sociales, échappant au pouvoir et à l’agir des humains vivants. Elles viennent d’ailleurs, c’est la faute du Marché, de la Concurrence Mondiale, de l’Europe, de Wall street, des Chinois, des Japonais, des Indiens, des Américains... Et pour mieux nier qu’elles pourraient être mises en question, ces mêmes valeurs symboliques ont réponse à tout. Tout en étant inquestionnables, développement, consommation, progrès, technique, économie, croissance ont réponse à tout (c’est-à-dire aux seules questions qu’il est pensable et permis de poser). Exemple, manifestation pour demander une augmentation, réponse du patronat : on voudrait bien mais il faudrait d’abord relancer la croissance par la consommation. CQFD. C’est bien là un système totalement hétéronomique.
b) L’Autonomos : l’assemblée des hommes se donnant à eux-mêmes leurs propres lois.
« Or dans cette masse historique immense des sociétés hétéronomes, une rupture survient dans deux cas (...) la Grèce ancienne [VII°/ V°s.] et l’Europe occidentale (XI/XII°s.) Dans les deux cas on trouve le début de la reconnaissance du fait que la source de la loi est la société elle-même, que nous faisons nos propres lois, d’où résulte l’ouverture de la possibilité de mettre en cause et en question l’institution existante de la société qui n’est plus sacrée, en tout cas pas sacrée de la même manière qu’auparavant. (...) Cette rupture de la clôture de la signification instaure du même coup la démocratie et la philosophie. » CduL IV p.161
« Autonomie : autos nomos (se donner) soi-même ses lois ». Castoriadis ajoutait : « sachant qu’on le fait. »
L’Autonomie, c’est le « surgissement d’un type d’être qui se donne à soi-même, réflexivement ses lois d’être. » CduL III p.131.
L’Autonomie c’est la : « Création de l’idée de retour réflexif sur soi, de critique et d’autocritique, d’interrogation qui ne connaît ni n’accepte aucune limite. Création donc, en même temps de la démocratie et de la philosophie. Car, de même qu’un philosophe n’accepte aucune limite extérieure à sa pensée, de même la démocratie ne reconnaît pas de limites externes à son pouvoir instituant, ses seules limites résultent de son autolimitation. » CduL IV p.100
C’est l’autonomos, la naissance de la démocratie de la philosophie et aussi celle de la politique. Pour Castoriadis c’est le sens profond de toute « Révolution ».
« La politique est projet d’autonomie : activité collective réfléchie et lucide visant l’institution globale de la société comme telle. Pour le dire en d’autres termes, elle concerne tout ce qui, dans la société, est participable et partageable » CduL III p.135
« Qu’est-ce que cela veut dire ? Que dans ces sociétés [Grèce ancienne et Europe du XI°s.] émerge une nouvelle forme de l’existant, de l’être social-historique, et même de l’être tout court : ces sociétés mettent elles-mêmes en question leur institution, c’est-à-dire la loi de leur existence. C’est la première fois que nous voyons un être quelconque mettre en question explicitement, et changer par une action explicite la loi de son existence. (...) Ici le changement des lois se fait consciemment, les questions sont ouvertement posées : est-ce que nos lois sont justes ? est-ce que nos dieux sont vrais ? est-ce que notre représentation du monde est vraie ? » [et pour le présent, nous pouvons nous interroger avec Castoriadis sur l’ensemble de notre système de valeurs :] « Est-ce que notre système de créer de l’information à partir de ce que nous ’’recevons’’ (...) nous donne la vérité ? Est-ce qu’il est efficace ? est-ce qu’il correspond à ce qui est ? » Une Sté à la dérive, p.79
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Conclusion
« Je ne pense pas que les hommes se mobiliseront jamais pour transformer la société, surtout dans les conditions du capitalisme moderne, et pour établir une société autonome uniquement dans le but d’avoir une société autonome. Il voudront vraiment et effectivement l’autonomie lorsqu’elle leur apparaîtra comme le porteur, la condition (...) indispensable de quelque chose de substantif qu’ils veulent vraiment réaliser, qui aura pour eux de la valeur et qu’ils n’arrivent pas à faire dans le monde actuel. Mais cela veut dire qu’il faudra que de nouvelles valeurs émergent dans la vie social-historique. » Une Sté à la dérive, p.86
C’est bien ce pourquoi nous sommes réunis ici ce soir : tenter de faire émerger, d’instituer, de nouvelles valeurs en contradiction et opposition totale avec celles que l’institution véhicule de toute la puissance de ses moyens, de tout son formidable pouvoir. Et ceci passe par une forme certaine d’autonomos.
Vu de l’intérieur, (j’entends au sein de l’assemblée des hommes que nous formons ici), sommes-nous certains que mettre au point des recettes pour décroître et les échanger entre nous suffira ? Certes, si c’est déjà « un bon début », devons-nous nous limiter à cela ?
Vis-à-vis de l’extérieur (c’est-à-dire : à l’extérieur de l’assemblée des hommes que nous formons ici), sommes-nous certains que de solliciter perpétuellement les réponses de l’institution économico-médiatico-politique suffira, alors que nous les savons déjà toutes faites ? Ne devons-nous pas plutôt envisager de nouvelles stratégies radicalement différentes ? Simples questions...
Nous possédons avec Castoriadis de bonnes bases de travail. Nous pouvons en rester là dans le cadre de cet exposé, et nous contenter de cela. Nous pouvons aussi aller plus loin un autre jour et aborder la problématique du pouvoir, sa vie, son œuvre (car toute institution est pouvoir...). Ce qui m’intéresserait personnellement serait de tenter de « nous donner à nous-mêmes nos propres lois », « sachant que nous le faisons » tout en mesurant l’immensité que représente cette tâche.
C’était pour Castoriadis et cela reste, à mon avis, un projet véritablement Révolutionnaire.
IV Le pouvoir
1) L’institution est l’essence du pouvoir, est pouvoir
CC
Pierre Legendre et Louis Marin
2) oikos, agora, ekklesia
Espaces privés (oikos), espaces privé-publics (agora), espace public (ekklesia)
les lieux du pouvoir
[lire] CC. C.du L. VI p.116 à 119
[lire]« La ’’rationnalité’’ du capitalisme » (1997) in C.duL. VI, 65-92 -faire un choix
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« L’imagination est la capacité de poser comme réel ce qui ne l’est pas » CduL II, p.41
« L’imagination, c’est la capacité de faire surgir quelque chose qui n’est pas « le réel » tel que le décrit soit la perception commune (...), soit la physique. » CduL V, p.95
« La raison (...) est la faculté de s’interroger sur les principes. » CduL V p.43
« Si la réflexion ne veut pas quelque chose, elle n’est pas comme réflexion. La quête de vérité est volonté de vérité. » CduL V, p.48
« La pensée, en un sens, dépend de la volonté, parce qu’il faut vouloir penser. Penser n’est ni mécanique, ni passif. » Une sté à la d. p.272
« La disparition de l’imagination va de pair avec l’effondrement de la volonté. Il faut quand même pouvoir se représenter quelque chose qui n’est pas, pour pouvoir vouloir. » CduL II, p.97
« Mais cette volonté est aussi motivée par la réflexion, et par le désir. (...) Mais il ne suffit pas de le désirer, il faut le faire, c’est-à-dire mettre ne avant une volonté (...). » Une sté à la d. p.274-275
« La volonté, c’est le désir sublimé. » Une sté à la d. p.275
« La culture est le domaine de l’imaginaire au sens strict, le domaine poiétique, ce qui dans une société va au-delà de ce qui est seulement instrumental. » CduL VI, p.99
« L’histoire est la somme totale des actions des êtres humains à travers l’espace et le temps. » CduL VI, p.261
« Il existe une parenté profonde entre l’art d’un côté, la philosophie et la science de l’autre. Non seulement ici et là on voit l’imagination créatrice à l’œuvre, mais aussi bien l’art que la philosophie et la science essaient de donner une forme au chaos, au chaos qui sous-tend le cosmos (...) » CduL VI, p.102
« Ce retour du conformisme est un retour général de l’hétéronomie. J’ai défini l’hétéronomie comme le fait de penser et d’agir comme l’institution et le milieu l’imposent (ouvertement ou de façon souterraine). » CduL VI, p.109
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« La mère, c’est société plus trois millions d’années de socialisation » CduL V, p.30
« La fin de l’analyse, c’est la capacité du sujet, désormais, de s’auto-analyser » CduL V, p.105
« La finalité de l’analyse, dans le meilleur des cas, est d’aider le patient à devenir un sujet autonome, c’est-à-dire une subjectivité réflexive et délibérante » « Minimalement, on essaye d’aider le patient à passer de la souffrance névrotique à un état de malheur humain banal » CduL VI, p.257
« La psychanalyse a, pour l’essentiel, le même objet que la politique : l’autonomie des êtres humains. » CduL VI, p.231
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« Le prix à payer pour la liberté, c’est la destruction de l’économique comme valeur centrale et, en fait unique. » CduL V, p.76
« Avec les populations occidentales telles qu’elles sont actuellement, une grande catastrophe écologique conduirait plus probablement à nouveau type de fascisme qu’à autre chose » CduL V, p.76
« Et s’il n’y a pas un réveil du projet démocratique, l’ « écologie » peut très bien être intégrée dans une idéologie néo-fasciste. Face à une catastrophe écologique mondiale, par exemple, on voit très bien des régimes autoritaires imposant des restrictions draconiennes à une population affolée et apathique. » Une sté à la d. p.246
« Si le reste de l’humanité doit sortir de son insoutenable misère, et si l’humanité entière veut survivre sur cette planète (...), il faudra accepter une gestion de bon père de famille des ressources de la planète, un contrôle radical de la technologie, et de la production, une vie frugale. » CduL V, p.77
« La seule attitude à adopter, c’est celle du diligens pater familias, du père de famille consciencieux qui se dit : puisque les enjeux sont énormes, et même si les probabilités sont très incertaines, je procède avec la plus grande prudence (...). C’est l’acharnement de Bush [père] et des libéraux qui invoquent précisément à l’envers l’argument de l’incertitude (puisque ce n’est pas démontré, continuons comme avant...) » Une sté à la d. p.242
« L’écologie est essentiellement politique, elle n’est pas « scientifique ». La science est incapable, en tant que science de fixer ses propres limites ou ses finalités. » [Et si un scientifique évoque des limites ou des finalités, il quitte de facto la science pour la politique]. Une sté à la d. p.241
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À propose de l’aphorisme célèbre « l’Etat c’est le monopole de la violence légitime » (de Max Weber) : « Le Maître de la signification trône au-dessus du maître de la violence légitime » CduL III, p.123
« La tradition signifie que la question de la tradition ne sera pas posée » CduL III, p.130
« La sélection des plus aptes est la sélection des plus aptes à se faire sélectionner » CduL IV, p.15
« La démocratie est le régime de l’autolimitation, autrement dit, le régime de l’autonomie ou de l’auto-institution. » CduL VI, p.119 et 150
« La démocratie est un régime qui s’auto-institue explicitement de manière permanente » CduL VI, p.151
« Le projet d’autonomie est littéralement aussi un projet d’autolimitation. » CduL IV, p.137
« Tout ce qui apparaît doit signifier quelque chose. Il y a pour la société un impérialisme de la signification qui ne souffre pour ainsi dire pas d’exception. Ou alors, il faut que le dispositif social décide explicitement que telle chose n’a aucune signification » Une sté à la d. p.71 [ce qui en soi possède aussi sa signification]
« L’objet de la politique n’est pas le bonheur, l’objet de la politique c’est la liberté » Une sté à la d. p.98
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« L’énorme développement productif et économique des cent cinquante dernières années a été conditionné par la destruction (consommation) irréversible de réserves naturelles ou accumulées dans la biosphère depuis des centaines de million d’années. » CduL VI, p.175
« Le capitalisme vit en épuisant les réserves anthropologiques constituées pendant les millénaires précédents. De même qu’il vit en épuisant les réserves naturelles. » Une sté à la d. p.100-101
« Il ne faut pas oublier que l’énorme succès du capitalisme s’appuie, entre autres, sur une destruction irréversible des ressources biologiques que trois milliards d’années ont accumulés sur terre. » Une sté à la d. p.194
« La ’’rationalité’’ de l’économie ne sera(it) jamais que la rationalité d’un système de moyens, et le jugement sur celle-ci est suspendu à celui portant sur la rationalité des fins que ces moyens réalisent » CduL VI, p.173
« Quant à l’identification du savoir et du pouvoir, il s’agit d’une mystification, propagée par le pouvoir lui-même (...) » Une sté à la d. p.143
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« Quand j’éduque quelqu’un, je résous ce paradoxe : en empiétant sur son autonomie potentielle, je lui permets de réaliser une autonomie effective » Une sté à la d. p.104
« Mais où les prend-on donc, ces ’’individus’’ ? Est-ce qu’ils poussent dans la nature ? L’individu est une fabrication sociale » CduL VI, p.122
« L’individu est, en fait, le porteur concret effectif des institutions de la société et il est, en principe astreint par construction pour ainsi dire, à les maintenir et reproduire » CduL VI, p.270
« Comment changer la société, si les acteurs, comme les instruments du changement sont des individus vivants, en qui s’incarne précisément ce qui doit être changé ? » CduL VI, p.136
« Aucune révolution ne se fait sur une table rase, ni ne peut, le voudrait-elle, produire une table rase. » Une sté à la d. p.178
Quelques mots avant de s’intéresser à Castoriadis.
Je voudrais d’abord attirer votre attention sur nous-mêmes, sur cette assemblée !
Pourquoi sommes-nous réunis ce soir, et quel est notre plus petit commun dénominateur, ici et maintenant ?
Eh bien il me semble que c’est un mot, rien qu’un mot : « DÉCROISSANCE ».
Nous sommes donc réunis ici autour d’un mot dont nous ne savons pas exactement quel est son contenu...
Bien sûr ce n’est pas tout a fait vrai, chacun de nous a une petite idée de ce que « décroissance » veut dire, et en réalité, nous cherchons seulement à savoir si le voisin pense comme nous, s’il met sous le mot « décroissance » la même chose que nous. Il y a donc un doute, un questionnement. Au passage, si le voisin en sait plus que nous, tant mieux, nous sommes là pour apprendre, c’est le contrat : s’informer, mettre en commun nos savoirs, nos expériences.
Eh bien ça, c’est une situation peu courante, une situation rare, je dirais même très rare.
Parce qu’il y a, contrairement à nous, à cette heure même, dans cette ville un tas de gens réunis autour d’autres mots dont ils savent parfaitement ce qu’ils veulent dire, (surtout en ce moment), par exemple « socialisme », « communisme », « libéralisme », ou « économie », « développement », « croissance » etc. Ces mots sont connus, ils ont une histoire, on sait à peu près ce qu’il contiennent, ils sont déjà INSTITUÉS.
Mais nous, nous sommes d’incroyables aventuriers, nous prenons un risque fou, celui d’aller vers quelque chose dont nous ne connaissons pas encore vraiment le contenu. On pourrait appeler cela une assemblée « ouverte », enfin, pour l’instant, elle est ouverte...
La décroissance n’est pas encore tout à fait instituée. Et nous nous sommes réunis pour faire cela : instituer la décroissance, lui donner du contenu, ce que nous pensons en notre âme et conscience être la décroissance.
Voilà pourquoi je souhaitais attirer votre attention sur nous-mêmes et sur cette situation peu courante qui consiste à instituer.
(Définition de Jacques Ellul, Histoire des institutions de l’antiquité, 1961, p.V.)
Est « institution » tout ce qui est volontairement organisé par une société donnée.
Nous sommes bien « une société donnée ». Nous cherchons bien à organiser volontairement quelque chose ; ce quelque chose ne l’est pas encore tout à fait, sinon nous n’aurions pas à faire ce travail. Ce quelque chose, se nomme « Décroissance », c’est la seule chose dont nous soyons sûrs.
Or Castoriadis est le penseur, le théoricien de l’institution, du phénomène INSTITUTION.
Hélas, certains vont être déçus ce soir : nous n’allons pas parler de décroissance, nous allons nous placer en amont (si vous le voulez bien) de la décroissance. Nous n’allons pas bâtir la maison tout de suite et avons jugé pertinent de poser au préalable la question :
« existe-t-il des outils qui nous permettront de bâtir solidement la maison ? »
SOLIDEMENT, sinon elle s’écroulerait bien vite.
Si ces outils n’existaient pas, il nous faudrait les inventer, mais s’ils existent autant les utiliser.
Petit rappel. Lors de la dernière réunion, il fut question de Guy Debord et de la « Société du spectacle » et j’ai osé dire qu’il valait mieux commencer par Castoriadis et finir par Guy Debord que l’inverse. Je savais pour les avoir comparés que les outils que Castoriadis met à notre disposition permettent effectivement de comprendre le Situationnisme, mais le Situationnisme ne permet pas de comprendre le phénomène INSTITUTION lequel se trouve en amont, puisque « société » et « spectacle » sont eux-mêmes des institutions. (Mais vous verrez tout de suite qu’il y a eu un lien entre Castoriadis et Debord)
Ce que j’ai fait lors de la dernière assemblée a consisté à répondre à une question qui ne m’était pas posé ! « Pour bâtir la maison, les outils existent-t-ils ? »
J’ai dit : oui il existe des outils chez Castoriadis !
(peut-être avez-vous compris CASTORAMA ?)
Pour cela on m’a puni. On m’a pris au mot. Toi qui l’ouvres, la prochaine fois tu t’y colles !
C’est toujours celui qui dit qui y est.
Castoriadis ayant passé au moins trente ans de sa vie à penser l’institution, mérite que nous lui accordions une petite soirée et peut-être plusieurs, nous déciderons...
Il est vrai aussi que Castoriadis n’a jamais directement parlé de « décroissance », entre 1960 et 1970 ce mot n’était connu que de rares individus.
Mais Castoriadis a fait autre chose de tout aussi utile :
— il a condamné et démontré la folie de la « pseudo-maîtrise » « pseudo-scientifique » de la nature, en laquelle il voyait le fondement même du capitalisme moderne, à peu près à la même époque que Jacques Ellul.
— il a condamné le « tout économique » un peu avant Georgescu-Roegen (qui lui, est bien le père de la décroissance)
tout ceci depuis les années 60 (Castoriadis était bien placé pour le faire : économiste, il fut responsable d’un département statistiques à l’OCDE pendant plus de vingt ans),
Cornélius Castoriadis — 1922 / 1997
sources : — C.C. « Une société à la dérive », seuil, 2005
— Roland Biard : « Dictionnaire de l’extrême-gauche de 1945 à nos jours » Belfond 1978
abréviation : — CduL (C.Castoriadis : Les Carrefours du Labyrinthe vol I à VI), toutes les citation tirées de
CC sont entre guillemets
Études de philosophie, d’économie et de droit à Athènes
1937 : adhère aux jeunesses communistes - Athènes — 1941 : cofondateur du groupe clandestin Nea Epochi, visant à réformer de l’intérieur le PC grec — 1942 : adhère au trotskisme.
1945 décembre : CC arrive en France
1949-1965 : cofondateur de « Socialisme ou Barbarie » (revue « mythique », 40 numéros en 16 ans), avec Claude Lefort, puis Edgar Morin, Jean-François Lyotard, etc.
« SouB est né à partir d’une tendance qui s’était constituée, l’été 46, au sein du Parti Communiste Internationaliste (PCI : 700 militants en France), parti trotskiste français » (CC p.27 et ss.) « les premiers documents de cette tendance ont été diffusés à partir d’août 46 » (CC p.29). Mais ce n’est qu’à partir de la scission de 1948 que se forme « un groupe du même nom. SouB évolue rapidement et rompt avec le trotskisme » (Biard, 346)
[SouB est alors très proche du conseillisme ouvrier — avec l’Internationale Situationniste plus tard. En juillet 60 une brochure est rédigée et publiée conjointement par P. Canjuers (Daniel Blanchard, de SouB.) et Guy Debord (I.S.) (Gonzalves, 32), titre : « Préliminaires pour une définition de l’unité du programme révolutionnaire ».
Qu’est-ce que le conseillisme « Le Conseillisme est l’une des expression les plus pures d’un marxisme débarrassé de l’autoritarisme léniniste » (Biard, 117)
« Deux scission priveront SouB d’un certain nombre de ses rédacteurs : Claude Lefort et certains militants de la ’’gauche’’ du groupe vont rejoindre Informations et Liaisons ouvrières et en 1959. Lyotard et certains militant formeront avec d’autres groupes conseillistes le groupe Pouvoir Ouvrier » (Biard, 348)
1948-1970 : économiste (à partir de 1960 — création de l’OCDE — où il est nommé chef des Études Nationales, puis en 1968 : directeur à la Direction des Études de croissance, des statistiques et des comptes nationaux)
1974-1976 : enseigne l’économie à la faculté de Nanterre
1972-1975 : collabore à « Textures » avec Marcel Gaucher, Claude Lefort, etc.
1977-1980 : Collabore à « Libre, politique, anthropologie, philosophie » (Claude Lefort, Pierre Clastre, Miguel Abensour, Marcel Gaucher, Alfred Adler, Maurice Luciani, Krzysztof Pomian, Pierre Manent, Simone Debout, Jacques Baynac, Marshall Sahlins, Louis Dumont).
1973-1997 : psychanalyste (rallié au Quatrième Groupe psychanalytique), Castoriadis sera le compagnon de Piera Aulagnier
1980-1995 : Directeur d’études et séminaires à l’EHESS
CC décède en 1997
I Trois raisons de s’intéresser à C.C.
1) individu singulier
— son engagement de militant, sa pratique des groupes (proche du conseillisme), son parcours, son oeuvre surtout, qui se déploie sur deux axes :
a) sciences sociales : histoire, philo, économie, droit, théories politiques
b) sciences de l’homme : psychologie, psychanalyse, soma, psyché
deux axes que distinguait bien CC. « C’est une erreur de psychanalyste de vouloir déduire la société du fonctionnement psychique, et l’erreur symétrique du sociologue de ne voir dans la psyché que le produit de la société et de la socialisation » CC. C.du L. VI p.217
2) J’ai déjà parlé de sa critique de l’économique, mais il manifesta un réel intérêt pour l’environnement et les mouvements écologistes, en effet les marxistes qui n’ont pas méprisé les problèmes environnementaux — sinon raillé l’écologie et moqué la croissance zéro — se comptent sur les doigts d’une main : C.C., André Gorz, et puis qui ? (François Partant, Yvan Illich, Geogescu-Roegen et Ellul, ne sont pas des « marxistes » !)
3) enfin pour les outils qu’il nous apporte
nous ne traiterons pas des outils concernant les sc. de l’H. (psyché/soma), issus de la tradition freudienne
— monade psychique > phase triadique > socialisation
— « clôture », « magma », « chaos », « sans fond »
— plaisir de représentation qui l’emporte sur le plaisir d’organe
CC. C.du L. VI p.122
mais des outils relatifs au social qui sont d’une part très originaux et d’autre part, des plus utiles pour ce qui nous intéresse, principalement :
a) l’institution(1)-imaginaire(2)-sociale(3) Titre de son premier ouvrage important, « L’institution imaginaire de la société » 1975
b) le couple hétéronomie/autonomie
(nous laisserons de côté)
c) l’ensembliste-identitaire, « ensidique »
d) Validité de fait, validité de droit
e) Le social-historique
II L’institution
L’institution est un concept absolument capital et fondateur
Qu’est-ce que l’institution :
« Pour commencer [par institution] nous n’entendons pas, bien entendu, la sécurité sociale ou un dispensaire d’hygiène mentale [ni la cancoillotte ou la Transjurassienne, institutions francomtoises]. Nous entendons d’abord et surtout le langage, la religion, le pouvoir, nous entendons ce qu’est l’individu dans une société donnée » C.du L. VI p.120 « l’ensemble des outils, du langage, des procédures de faire, des normes et des valeurs (...) tout ce qui, avec ou sans sanction formelle, impose des façons d’agir ou de penser ». Une Société à la dérive, p.67.
Imaginaire et sociale
« Pourquoi ’’imaginaires’’ ? Parce qu’elles ne sont ni rationnelles (on ne peut pas les ’’construire logiquement’’), ni réelles (on ne peut pas les dériver des choses) » (...)
« sociales, parce qu’elles ne sont rien si elles ne sont pas partagées, participées par ce collectif anonyme, impersonnel, qui est aussi chaque fois la société ». Une Société à la dérive, p.68.
L’Institution imaginaire sociale selon C.C. se déploie dans deux directions opposées : « arithmétique » et « mythe ».
Côté imaginaire arithmétique : (c’est l’ensembliste-identitaire), « l’institution de la société opère (agit et pense) selon les mêmes schèmes qui sont actifs dans la théorie logico-mathématique des ensembles : éléments, classes, propriétés, relations, tout cela étant posé comme bien distinct et bien défini. » « Le schème opérateur fondamental ici est le schème de la déterminité, l’existence c’est la déterminité » [en gros le monde physique]
Côté imaginaire mythe, l’existence c’est la signification. « Les significations peuvent être repérées, mais elles ne sont pas pleinement déterminées. Elles sont indéfiniment reliées les unes aux autres moyennant un mode de relation qui est le renvoi » Une Société à la dérive, p.73.
III Comment agit et opère l’institution ?
1) l’Institution première de la société est la société elle-même
« L’institution première de la société est le fait que la société se crée elle-même comme société et se crée chaque fois en se donnant des institutions animées par des significations imaginaires sociales spécifiques à la société considérée (...). Et cette institution première s’articule et s’instrumente dans des institutions secondes (...) transhistoriques, (langage, individu, famille...) ; et des institutions secondes spécifiques à des sociétés données (la polis grecque, l’entreprise capitaliste) » C.du L. VI p.124
Pour le présent, nous pouvons ajouter comme institutions spécifiques, nation, patrie, mais encore progrès, développement, croissance et... décroissance.
Par quoi la société s’institue-t-elle d’abord : par le langage
« Il y a chaque fois institution de la réalité et de la rationalité par la société considérée. L’illustration la plus immédiate est fournie par le langage. À la fois porteur et instrument essentiel de l’organisation du monde — du monde « naturel », social, des linéaments rationnels de toute réalité en général —, le langage est historiquement institué, et chaque fois institué comme langage différent. Il n’existe pas de langage en général, de langage pur (...) Ce qui est commun à tous les langages (...) : le pouvoir de signifier, le faire-être d’un monde de significations. » Une sté à la dérive, p.141
[du langage dériveront toutes les institutions, puisque le langage produit le sens, bien sûr]
2) L’institution est donc « sens », elle produit le sens pour tous
« L’institution fournit donc, désormais, le ’’sens’’ aux individus socialisés ; mais elle fournit aussi les moyens de faire être ce sens pour eux-mêmes, et elle fait cela en restaurant au niveau social une logique instrumentale ou fonctionnelle, qui existait sans doute, d’une autre manière au niveau animal mais qui a été cassée chez l’homme par le développement sans frein de l’imagination. » C.du L. VI p.124
En clair les institutions et significations imaginaires sociales chez Castoriadis sont ce qu’il est communément admis de nommer les valeurs symboliques.
Qu’est-ce qu’une valeur « symbolique » ?
Toute société humaine se donne, se créée, institue des valeurs, lesquelles ne sont pas strictement nécessaires à sa survie matérielle, pour cela elles sont dites « symboliques ».
Exemple : le pain est nécessaire à la survie matérielle de la société, mais l’hostie non. (Ceci dit, rien en vous empêche de manger un kilo d’hosties et si elles sont bénies, cent grammes suffiront.)
L’hostie est bien investie d’une valeur symbolique, transcendante, celle que lui confère la religion, la plus universelle des institutions imaginaires sociales.
De là découle qu’une valeur est tout simplement une chose à laquelle « on croit » dur comme fer ; à la fois faite pour être crue et symétriquement « valeur » parce que crue. Cette redondance est précisément le fait de l’INSTITUTION.
Les significations imaginaires sociales ou valeurs symboliques font sens pour chaque société et chaque individu au sein de cette société, et elles sont éminemment opératoires : on peut aller à la guerre pour « Dieu », pour la « patrie », pour la « nation », valeurs symboliques totalement abstraites, mais d’une formidable puissance.
On peut aussi dépenser sa vie à la gagner pour obéir à la mode, aller vite, avoir le confort, consommer du loisir, communiquer instantanément au monde entier, etc. Mais que sont mode, vitesse, confort, loisirs, communiquer ? sinon et avant tout des valeurs symboliques qui avec l’avènement de la société de consommation cachent dans leurs bagages bon nombre de « marchandises »... CC nommait cela des « imperçus immanents » CduL IV p.116 : « Personne n’a jamais vu une marchandise : on voit une voiture, un kilo de bananes, un mètre de tissu. C’est la signification imaginaire sociale marchandise qui fait fonctionner ces objets comme ils fonctionnent dans une société marchande » De la même façon, personne n’a jamais vu Dieu, mais c’est la signification imaginaire Dieu qui fait fonctionner l’hostie comme elle fonctionne dans une société religieuse.
Mais il y a plus grave que mourir à vingt ans au volant de sa bagnole pour aller vite, ou mourir d’anorexie pour être mince et passer à Star Académie, on peut aussi être torturé par l’Inquisition, avec la bénédiction du pape, pour avoir blasphémé ou être fusillé en toute légalité pour avoir déserté. Ce qui nous conduit aux ultimes développements du phénomène « institution » qui seront LA LOI d’une part et d’autre part LE POUVOIR.
IV La loi
1) L’institution s’autolégitime dans la Loi, dans le Droit
C.du L. VI p.67
« Toute société institue à la fois son institution et la ’’légitimation’’ de celle-ci »
Martine Rémond-Gouilloud, in « L’homme, la nature et le droit ». Bourgois, 1988, p.203
« Instituer, c’est faire advenir à l’univers juridique ».
La loi est une institution majeure destinée essentiellement à légitimer l’institution globale de la société, procès parfaitement tautologique et circulaire qu’illustre cet axiome fondamental du droit, cette Loi première de toute les Lois : « nul n’est censé ignorer la Loi ».
En nous instituant comme société, nous nous donnons des lois, et la première d’entre elle sera « nul n’est censé ignorer la Loi »,
ainsi la première loi est de dire que la loi est première.
Elle est fondatrice de ce « nous ». En effet ignorer la loi c’est ne plus faire partie des nôtres, c’est ne plus faire partie de la société, c’est s’en exclure d’office, c’est aussi ne plus accepter le contrat social (Jean-Jacques Rousseau), le vivre-ensemble (Hannah Arendt), c’est encore ne plus parler le même langage.
2) Mais, d’où vient la LOI ? Hétéronomos - Autonomos.
Ici CC distingue deux formes de LOIS (le nomos) : celle qui vient d’ailleurs et celle que se donne les hommes assemblés, c’est le couple « hétéronomos/autonomos ».
a) L’Hétéronomos : la Loi vient d’ailleurs, elle est inquestionnable. Le sens est pré-donné.
Pour imposer sa loi, l’institution use selon CC de trois moyens, le premier est de fabriquer psychiquement le sujet de telle sorte qu’il ne puisse questionner.
« J’ai défini l’hétéronomie comme le fait de penser et d’agir comme l’institution et le milieu l’imposent (ouvertement ou de façon souterraine). » CduL VI, p.109 « Car dans une société pré-démocratique, pré-philosophique, la possibilité de mettre en cause et en question l’institution n’existe tout simplement pas » (...) « Personne ne peut affirmer des idées, un vouloir, un désir s’opposant à l’ordre institué, et cela non pas parce qu’il subirait des sanctions, mais parce qu’il est, anthropologiquement, fabriqué de telle sorte, il a intériorisé à tel point l’institution de la société qu’il ne dispose pas des moyens psychiques et mentaux pour mettre en cause cette institution. » CduL VI, p.118. Mais, il faut préciser que, pour une large part, il ne peut en être autrement : « Les bipèdes nouveaux-nés ne deviennent des individus sociaux qu’en intériorisant les institutions sociales existantes. » CduL VI, p.133
Secondement, si d’aventure l’homme parvient à questionner l’institution, celle-ci invoquera alors la nature extra-sociale de la loi :
« J’appelle société hétéronome une société où le nomos, la loi, l’institution est donné par quelqu’un d’autre — heteros — . (...) Dans l’écrasante majorité des cas, la création de cette institution est imputée à une instance extra-sociale, ou en tout cas échappant au pouvoir et à l’agir des humains vivants. (...) Comment pouvez-vous dire que la loi donnée par Dieu est injuste, lorsque justice n’est rien d’autre qu’un des nom de Dieu ? Mais cette source peut être évidemment autre que Dieu : elle peut être les dieux, les héros fondateurs, les ancêtres... » CduL IV p.161
Enfin troisième ruse : la société instituée dispose de toutes les réponses déjà prêtes pour toutes les questions. C’est ce que précise CC en disant que dans les sociétés hétéronomes, les significations sont closes sur elles-mêmes :
« Aucune question qui pourrait être posée dans ce système, dans ce magma de signification, n’est privée de réponse dans ce même magma. La loi des Ancêtres a réponse à tout, la Torah a réponse à tout, le Coran [et la Bible] de même. » CduL IV p.162
Ainsi dans la société hétéronome selon CC, il est pratiquement impossible d’échapper au nomos, bien que la loi soit en réalité une création des hommes et une institution imaginaire, cela ne doit pas être su, ne doit pas être dit afin que la loi ne puisse être remise en question. L’institution façonne psychiquement l’homme pour que la loi intangible soit sa seconde nature. Si le doute l’atteint, l’institution dira que la loi vient d’ailleurs et qu’elle est sacrée. Si par extraordinaire, l’homme persistait à questionner, alors la loi instituée dispose de toutes les réponses déjà prêtes.
Quel est le but de l’institution ? Essentiellement perdurer : « Chaque institution de la société vise à se perpétuer. En général elle réussit à créer les moyens d’y parvenir (...). » CduL VI, p.132
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Nous sommes près de la fin de cet exposé et je voudrai ouvrir une parenthèse pour dire que trois dangers nous guettent (comme ils guettent toutes les assemblées des hommes)
Premier danger : « ne pas vouloir penser » — deuxième danger : « ne pas penser, mais s’exprimer » — troisième danger : « ne pas penser que c’est aujourd’hui ».
Voyons ces dangers un à un
1 — Ne pas penser, ne pas vouloir penser. Objection courante : « c’est trop intello, trop compliqué, kes tu va chercher là, on veut du concret, de l’action, on veut du fun... »
À cela, un seule réponse adressée à celui qui ne veux pas vouloir penser : il n’y a pas d’autre alternative que penser ou être pensé. S’il en est qui préfèrent que les autres pensent pour eux, ça les regarde, nous ne pouvons strictement rien y faire.
2 — Ne pas penser mais « s’exprimer ». C’est la posture artiste que je vise ici, non pas l’art, l’artiste présentement est éduqué à s’exprimer. Or, s’exprimer n’est pas penser, Sartre disait « penser, c’est penser contre soi », et s’exprimer c’est parler de soi, c’est exposer son moi, c’est exprimer son ego.
3 — Ne pas penser que c’est aujourd’hui que cela se passe. Quand Castoriadis parle d’hétéronomie, vous pourriez m’objecter que nous sommes là bien loin des problèmes quotidiens, bien loin du présent, bien loin de croissance et décroissance.
Vous vous tromperiez grandement à penser ainsi, prêtez attention aux discours de nos élites, de nos élus, de l’idéologie publicitaire et communicationnelle : nous en sommes bel et bien revenus à une société hétéronomique (si tant est que nous ne l’avions jamais quittée !).
C’est la croissance qui va nous sortir du chômage !
C’est la consommation qui relancera l’économie !
C’est l’économie mondialisée qui vaincra la misère dans le monde !
C’est la technique qui va résoudre le problème du dérèglement climatique !
C’est le progrès qui va nous inventer une énergie éternelle et gratuite !
C’est le développement durable qui va résoudre les problèmes environnementaux !
Croissance « illimitée », consommation « salutaire », économie « mondialisée », technique « infaillible », progrès « éternel », développement « durable », tout cela est INQUESTIONNABLE. Toutes ces valeurs symboliques, ces significations imaginaires sont des instances extra-sociales, échappant au pouvoir et à l’agir des humains vivants. Elles viennent d’ailleurs, c’est la faute du Marché, de la Concurrence Mondiale, de l’Europe, de Wall street, des Chinois, des Japonais, des Indiens, des Américains... Et pour mieux nier qu’elles pourraient être mises en question, ces mêmes valeurs symboliques ont réponse à tout. Tout en étant inquestionnables, développement, consommation, progrès, technique, économie, croissance ont réponse à tout (c’est-à-dire aux seules questions qu’il est pensable et permis de poser). Exemple, manifestation pour demander une augmentation, réponse du patronat : on voudrait bien mais il faudrait d’abord relancer la croissance par la consommation. CQFD. C’est bien là un système totalement hétéronomique.
b) L’Autonomos : l’assemblée des hommes se donnant à eux-mêmes leurs propres lois.
« Or dans cette masse historique immense des sociétés hétéronomes, une rupture survient dans deux cas (...) la Grèce ancienne [VII°/ V°s.] et l’Europe occidentale (XI/XII°s.) Dans les deux cas on trouve le début de la reconnaissance du fait que la source de la loi est la société elle-même, que nous faisons nos propres lois, d’où résulte l’ouverture de la possibilité de mettre en cause et en question l’institution existante de la société qui n’est plus sacrée, en tout cas pas sacrée de la même manière qu’auparavant. (...) Cette rupture de la clôture de la signification instaure du même coup la démocratie et la philosophie. » CduL IV p.161
« Autonomie : autos nomos (se donner) soi-même ses lois ». Castoriadis ajoutait : « sachant qu’on le fait. »
L’Autonomie, c’est le « surgissement d’un type d’être qui se donne à soi-même, réflexivement ses lois d’être. » CduL III p.131.
L’Autonomie c’est la : « Création de l’idée de retour réflexif sur soi, de critique et d’autocritique, d’interrogation qui ne connaît ni n’accepte aucune limite. Création donc, en même temps de la démocratie et de la philosophie. Car, de même qu’un philosophe n’accepte aucune limite extérieure à sa pensée, de même la démocratie ne reconnaît pas de limites externes à son pouvoir instituant, ses seules limites résultent de son autolimitation. » CduL IV p.100
C’est l’autonomos, la naissance de la démocratie de la philosophie et aussi celle de la politique. Pour Castoriadis c’est le sens profond de toute « Révolution ».
« La politique est projet d’autonomie : activité collective réfléchie et lucide visant l’institution globale de la société comme telle. Pour le dire en d’autres termes, elle concerne tout ce qui, dans la société, est participable et partageable » CduL III p.135
« Qu’est-ce que cela veut dire ? Que dans ces sociétés [Grèce ancienne et Europe du XI°s.] émerge une nouvelle forme de l’existant, de l’être social-historique, et même de l’être tout court : ces sociétés mettent elles-mêmes en question leur institution, c’est-à-dire la loi de leur existence. C’est la première fois que nous voyons un être quelconque mettre en question explicitement, et changer par une action explicite la loi de son existence. (...) Ici le changement des lois se fait consciemment, les questions sont ouvertement posées : est-ce que nos lois sont justes ? est-ce que nos dieux sont vrais ? est-ce que notre représentation du monde est vraie ? » [et pour le présent, nous pouvons nous interroger avec Castoriadis sur l’ensemble de notre système de valeurs :] « Est-ce que notre système de créer de l’information à partir de ce que nous ’’recevons’’ (...) nous donne la vérité ? Est-ce qu’il est efficace ? est-ce qu’il correspond à ce qui est ? » Une Sté à la dérive, p.79
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Conclusion
« Je ne pense pas que les hommes se mobiliseront jamais pour transformer la société, surtout dans les conditions du capitalisme moderne, et pour établir une société autonome uniquement dans le but d’avoir une société autonome. Il voudront vraiment et effectivement l’autonomie lorsqu’elle leur apparaîtra comme le porteur, la condition (...) indispensable de quelque chose de substantif qu’ils veulent vraiment réaliser, qui aura pour eux de la valeur et qu’ils n’arrivent pas à faire dans le monde actuel. Mais cela veut dire qu’il faudra que de nouvelles valeurs émergent dans la vie social-historique. » Une Sté à la dérive, p.86
C’est bien ce pourquoi nous sommes réunis ici ce soir : tenter de faire émerger, d’instituer, de nouvelles valeurs en contradiction et opposition totale avec celles que l’institution véhicule de toute la puissance de ses moyens, de tout son formidable pouvoir. Et ceci passe par une forme certaine d’autonomos.
Vu de l’intérieur, (j’entends au sein de l’assemblée des hommes que nous formons ici), sommes-nous certains que mettre au point des recettes pour décroître et les échanger entre nous suffira ? Certes, si c’est déjà « un bon début », devons-nous nous limiter à cela ?
Vis-à-vis de l’extérieur (c’est-à-dire : à l’extérieur de l’assemblée des hommes que nous formons ici), sommes-nous certains que de solliciter perpétuellement les réponses de l’institution économico-médiatico-politique suffira, alors que nous les savons déjà toutes faites ? Ne devons-nous pas plutôt envisager de nouvelles stratégies radicalement différentes ? Simples questions...
Nous possédons avec Castoriadis de bonnes bases de travail. Nous pouvons en rester là dans le cadre de cet exposé, et nous contenter de cela. Nous pouvons aussi aller plus loin un autre jour et aborder la problématique du pouvoir, sa vie, son œuvre (car toute institution est pouvoir...). Ce qui m’intéresserait personnellement serait de tenter de « nous donner à nous-mêmes nos propres lois », « sachant que nous le faisons » tout en mesurant l’immensité que représente cette tâche.
C’était pour Castoriadis et cela reste, à mon avis, un projet véritablement Révolutionnaire.
IV Le pouvoir
1) L’institution est l’essence du pouvoir, est pouvoir
CC
Pierre Legendre et Louis Marin
2) oikos, agora, ekklesia
Espaces privés (oikos), espaces privé-publics (agora), espace public (ekklesia)
les lieux du pouvoir
[lire] CC. C.du L. VI p.116 à 119
[lire]« La ’’rationnalité’’ du capitalisme » (1997) in C.duL. VI, 65-92 -faire un choix
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« L’imagination est la capacité de poser comme réel ce qui ne l’est pas » CduL II, p.41
« L’imagination, c’est la capacité de faire surgir quelque chose qui n’est pas « le réel » tel que le décrit soit la perception commune (...), soit la physique. » CduL V, p.95
« La raison (...) est la faculté de s’interroger sur les principes. » CduL V p.43
« Si la réflexion ne veut pas quelque chose, elle n’est pas comme réflexion. La quête de vérité est volonté de vérité. » CduL V, p.48
« La pensée, en un sens, dépend de la volonté, parce qu’il faut vouloir penser. Penser n’est ni mécanique, ni passif. » Une sté à la d. p.272
« La disparition de l’imagination va de pair avec l’effondrement de la volonté. Il faut quand même pouvoir se représenter quelque chose qui n’est pas, pour pouvoir vouloir. » CduL II, p.97
« Mais cette volonté est aussi motivée par la réflexion, et par le désir. (...) Mais il ne suffit pas de le désirer, il faut le faire, c’est-à-dire mettre ne avant une volonté (...). » Une sté à la d. p.274-275
« La volonté, c’est le désir sublimé. » Une sté à la d. p.275
« La culture est le domaine de l’imaginaire au sens strict, le domaine poiétique, ce qui dans une société va au-delà de ce qui est seulement instrumental. » CduL VI, p.99
« L’histoire est la somme totale des actions des êtres humains à travers l’espace et le temps. » CduL VI, p.261
« Il existe une parenté profonde entre l’art d’un côté, la philosophie et la science de l’autre. Non seulement ici et là on voit l’imagination créatrice à l’œuvre, mais aussi bien l’art que la philosophie et la science essaient de donner une forme au chaos, au chaos qui sous-tend le cosmos (...) » CduL VI, p.102
« Ce retour du conformisme est un retour général de l’hétéronomie. J’ai défini l’hétéronomie comme le fait de penser et d’agir comme l’institution et le milieu l’imposent (ouvertement ou de façon souterraine). » CduL VI, p.109
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« La mère, c’est société plus trois millions d’années de socialisation » CduL V, p.30
« La fin de l’analyse, c’est la capacité du sujet, désormais, de s’auto-analyser » CduL V, p.105
« La finalité de l’analyse, dans le meilleur des cas, est d’aider le patient à devenir un sujet autonome, c’est-à-dire une subjectivité réflexive et délibérante » « Minimalement, on essaye d’aider le patient à passer de la souffrance névrotique à un état de malheur humain banal » CduL VI, p.257
« La psychanalyse a, pour l’essentiel, le même objet que la politique : l’autonomie des êtres humains. » CduL VI, p.231
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« Le prix à payer pour la liberté, c’est la destruction de l’économique comme valeur centrale et, en fait unique. » CduL V, p.76
« Avec les populations occidentales telles qu’elles sont actuellement, une grande catastrophe écologique conduirait plus probablement à nouveau type de fascisme qu’à autre chose » CduL V, p.76
« Et s’il n’y a pas un réveil du projet démocratique, l’ « écologie » peut très bien être intégrée dans une idéologie néo-fasciste. Face à une catastrophe écologique mondiale, par exemple, on voit très bien des régimes autoritaires imposant des restrictions draconiennes à une population affolée et apathique. » Une sté à la d. p.246
« Si le reste de l’humanité doit sortir de son insoutenable misère, et si l’humanité entière veut survivre sur cette planète (...), il faudra accepter une gestion de bon père de famille des ressources de la planète, un contrôle radical de la technologie, et de la production, une vie frugale. » CduL V, p.77
« La seule attitude à adopter, c’est celle du diligens pater familias, du père de famille consciencieux qui se dit : puisque les enjeux sont énormes, et même si les probabilités sont très incertaines, je procède avec la plus grande prudence (...). C’est l’acharnement de Bush [père] et des libéraux qui invoquent précisément à l’envers l’argument de l’incertitude (puisque ce n’est pas démontré, continuons comme avant...) » Une sté à la d. p.242
« L’écologie est essentiellement politique, elle n’est pas « scientifique ». La science est incapable, en tant que science de fixer ses propres limites ou ses finalités. » [Et si un scientifique évoque des limites ou des finalités, il quitte de facto la science pour la politique]. Une sté à la d. p.241
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À propose de l’aphorisme célèbre « l’Etat c’est le monopole de la violence légitime » (de Max Weber) : « Le Maître de la signification trône au-dessus du maître de la violence légitime » CduL III, p.123
« La tradition signifie que la question de la tradition ne sera pas posée » CduL III, p.130
« La sélection des plus aptes est la sélection des plus aptes à se faire sélectionner » CduL IV, p.15
« La démocratie est le régime de l’autolimitation, autrement dit, le régime de l’autonomie ou de l’auto-institution. » CduL VI, p.119 et 150
« La démocratie est un régime qui s’auto-institue explicitement de manière permanente » CduL VI, p.151
« Le projet d’autonomie est littéralement aussi un projet d’autolimitation. » CduL IV, p.137
« Tout ce qui apparaît doit signifier quelque chose. Il y a pour la société un impérialisme de la signification qui ne souffre pour ainsi dire pas d’exception. Ou alors, il faut que le dispositif social décide explicitement que telle chose n’a aucune signification » Une sté à la d. p.71 [ce qui en soi possède aussi sa signification]
« L’objet de la politique n’est pas le bonheur, l’objet de la politique c’est la liberté » Une sté à la d. p.98
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« L’énorme développement productif et économique des cent cinquante dernières années a été conditionné par la destruction (consommation) irréversible de réserves naturelles ou accumulées dans la biosphère depuis des centaines de million d’années. » CduL VI, p.175
« Le capitalisme vit en épuisant les réserves anthropologiques constituées pendant les millénaires précédents. De même qu’il vit en épuisant les réserves naturelles. » Une sté à la d. p.100-101
« Il ne faut pas oublier que l’énorme succès du capitalisme s’appuie, entre autres, sur une destruction irréversible des ressources biologiques que trois milliards d’années ont accumulés sur terre. » Une sté à la d. p.194
« La ’’rationalité’’ de l’économie ne sera(it) jamais que la rationalité d’un système de moyens, et le jugement sur celle-ci est suspendu à celui portant sur la rationalité des fins que ces moyens réalisent » CduL VI, p.173
« Quant à l’identification du savoir et du pouvoir, il s’agit d’une mystification, propagée par le pouvoir lui-même (...) » Une sté à la d. p.143
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« Quand j’éduque quelqu’un, je résous ce paradoxe : en empiétant sur son autonomie potentielle, je lui permets de réaliser une autonomie effective » Une sté à la d. p.104
« Mais où les prend-on donc, ces ’’individus’’ ? Est-ce qu’ils poussent dans la nature ? L’individu est une fabrication sociale » CduL VI, p.122
« L’individu est, en fait, le porteur concret effectif des institutions de la société et il est, en principe astreint par construction pour ainsi dire, à les maintenir et reproduire » CduL VI, p.270
« Comment changer la société, si les acteurs, comme les instruments du changement sont des individus vivants, en qui s’incarne précisément ce qui doit être changé ? » CduL VI, p.136
« Aucune révolution ne se fait sur une table rase, ni ne peut, le voudrait-elle, produire une table rase. » Une sté à la d. p.178
mercredi 16 mai 2007
Qu'est-ce donc que la bisontine de décroissance ?
La bisontine de décroissance est un collectif informel regroupant des habitants de Besançon et alentours désireux de mettre en commun leurs énergies pour mieux connaître et faire connaître la décroissance.
Pour l’instant nous fonctionnons essentiellement sous la forme d’un « cercle de réflexion ». Nous nous réunissons une fois par mois pour partager des informations, des savoirs et élaborer ensemble un argumentaire POUR LA DECROISSANCE sur la base de valeurs humanistes et démocratiques. Chacun est invité à participer à ces réunions et à y prendre part activement, par exemple en préparant un exposé sur un sujet nous concernant. Une petite bibliothèque commune a été mise en place. Ce blog a pour objet de rendre compte de nos échanges, les commentaires y sont les bienvenus
Pour l’instant nous fonctionnons essentiellement sous la forme d’un « cercle de réflexion ». Nous nous réunissons une fois par mois pour partager des informations, des savoirs et élaborer ensemble un argumentaire POUR LA DECROISSANCE sur la base de valeurs humanistes et démocratiques. Chacun est invité à participer à ces réunions et à y prendre part activement, par exemple en préparant un exposé sur un sujet nous concernant. Une petite bibliothèque commune a été mise en place. Ce blog a pour objet de rendre compte de nos échanges, les commentaires y sont les bienvenus
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